FACULTÉ DES SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ
INSTITUT DE RECHERCHES SOCIOLOGIQUES
Sociograph n°35 
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La musique sous le regard  
des sciences sociales  
Edité par Loïc Riom et Marc Perrenoud
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Il existe encore peu de recherches en sciences sociales sur la musique en 
Suisse. Pourtant, la vie musicale helvétique est riche et diversifiée. Les 
données de l’Office Fédéral de la Statistique témoignent d’une consom-
mation musicale importante parmi la population suisse et, plus encore, 
d’un taux de pratique particulièrement élevé. Sur le plan institutionnel, on 
compte de nombreux festivals et de salles de concert à travers le pays. Et 
depuis une quinzaine d’années, différentes institutions visant à soutenir 
la création musicale ont vu le jour avec, parfois, l’ambition de faire rayon-
ner les musiciens suisses à l’étranger.  
Dans ce contexte, il semble nécessaire de développer un regard propre 
aux sciences sociales sur la musique en Suisse. Cet ouvrage répond à ce 
besoin en esquissant un premier panorama des mondes de la musique 
helvétique et en réunissant des contributions traitant de différents as-
pects de la musique en Suisse : histoire des musiques populaires, liens 
entre musique et immigration, marché de l’emploi musical et pratiques de 
fréquentation des institutions culturelles. Ces contributions mettent en 
évidence certaines particularités de la Suisse, mais soulignent également 
son insertion dans une histoire globale de la musique.
Loïc Riom est doctorant au Centre de sociologie de l’innovation de l’Ecole 
des Mines ParisTech et chercheur associé à l’Institut de recherches 
sociologiques de l’Université de Genève. Ses travaux portent sur 
l’évaluation, la valorisation et la circulation de la musique.  
Marc Perrenoud est Maître d’enseignement et de recherche à l’Université 
de Lausanne. Sociologue du travail et de la culture, ses recherches 
traitent de l’emploi musical, des économies symboliques du travail et de 
la sociologie des groupes professionnels.  
Avec les contributions de Christian Steulet (HKB), de Pierre Raboud 
(UNIL/Université de Tours), d’Irene Pellegrini (UNIGE), de Sandro Cattacin 
(UNIGE), de Luca Preite (UNIBAS), de Pierre Bataille (ULB/UNIL) et de 
Nuné Nikoghosyan (UNIGE).
ISBN: 978-2-940386-44-4
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1 
LA MUSIQUE EN SUISSE  
SOUS LE REGARD DES 
SCIENCES SOCIALES 
Edité par Loïc Riom et Marc Perrenoud 
Sociograph n°35 
 
2 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Image de couverture: Wikimedia Commons, Panoramio, Валерий Дед 
Citation conseillée : Riom, Loïc et Perrenoud, Marc (éds.) (2018), La musique sous le regard des 
sciences sociales, Genève : Université de Genève (Sociograph - Sociological Research Studies, 35) 
ISBN : 978-2-940386-44-4 
Publication sur Internet : www.unige.ch/sciences-societe/socio/sociograph 
 
3 
TABLE DES MATIERES 
TABLE DES FIGURES 5 
 
LA MUSIQUE EN SUISSE : PREMIERES APPROCHES 7 
Loïc Riom et Marc Perrenoud 
CHANGEMENTS DE PLATEAUX : LA SCENE MUSICALE 
POPULAIRE EN SUISSE, DES NUITS DE JAZZ A SUPER POP 
MONTREUX 27 
Christian Steulet 
L’HIVER DES MUSIQUES JEUNES : LA SUISSE AVANT LA POP  
(1960-1983) 47 
Pierre Raboud 
NON SONO SOLO CANZONETTE : LA POP ITALIENNE  
EN SUISSE 63 
Irene Pellegrini et Sandro Cattacin 
BABA USLENDER : CONQUETE D’UN POUVOIR  
D’AGIR ET « GENTRIFICATION MUSICALE » 81 
Luca Preite 
4 
 
VIES MUSICIENNES : PORTRAIT DES MUSICIEN.NE.S 
ORDINAIRES EN SUISSE ROMANDE 101 
Marc Perrenoud et Pierre Bataille 
LES TRIBUTE BANDS EN SUISSE : UN MONDE  
D’AMBIVALENCES 127 
Nuné Nikoghosyan 
QUELLES PRATIQUES, QUELLES INSTITUTIONS ?: 
CARTOGRAPHIE INSTITUTIONNELLE DES PRATIQUES DES 
SPECTATEURS DE LA MUSIQUE CLASSIQUE DANS UNE GRANDE 
VILLE DE SUISSE ROMANDE 147 
Loïc Riom 
 
5 
TABLE DES FIGURES  
Figure 1 : Trois clusters de revenus musicaux 111 
Figure 2 : Répertoires et carrières musicales des femmes et des 
hommes. 118 
Figure 3 : Les deux principales communautés de collaboration 
musicales 121 
Figure 4 : Institutions citées par type de programmation 153 
Figure 5 : Localisation des institutions citées 154 
Figure 6 : Les blocs 1, 2 et 4 160 
*** 
Photo 1 : Lil Hardin Armstrong, Hôtel Beau-Rivage, 1953. 29 
Photo 2 : Led Zeppelin, Casino de Montreux, 1970. 30 
Photo 3 : L’intérieur du Café Africana 33 
Photo 4 : Affiche d’un événement multiculturel 76 
*** 
Tableau 1 : Nombre d’albums et de semaines passées dans le  
Hit-Parade suisse (1968-2015) 69 
Tableau 2 : Chansons italiennes dans le Hit-Parade par décennie  
(1970-2015) 70 
Tableau 3 : Transformation de la musique italienne en Suisse 78 
Tableau 4 : Niveau de formation des musicien.ne.s au regard de la 
population active en 2013. 105 
Tableau 5 : Niveau de revenu des musicien.ne.s au regard de la 
population active en 2013 108 
Tableau 6 : Composition des deux communautés du réseau de 
collaboration 122 
Tableau 7 : Les caractéristiques des dispositifs de jeu 134 
6 
 
Tableau 8 : Caractéristiques sociodémographiques des répondants 152 
Tableau 9 : Institutions citées 15 fois et plus 155 
Tableau 10 : Table de densité analyse cœur-périphérie 157 
Tableau 11 : Modèle de groupe 161 
Tableau 12 : Table des densités modèle de groupe 162 
7 
LA MUSIQUE EN SUISSE :  
PREMIERES APPROCHES 
par Loïc Riom et Marc Perrenoud 
Notre volonté d’organiser la journée d’étude dont est issu cet 
ouvrage est venue d’un double constat. D’une part, il n’existe en 
Suisse que peu de recherches en sciences sociales sur la musique. 
D’autre part, les connaissances sur ce sujet restent très éclatées. 
Notre but était donc de faire se rencontrer différents chercheurs 
travaillant sur la question afin d’esquisser un panorama du fait 
musical en Suisse. À la vue de la diversité et de la qualité des 
chapitres qui composent ce livre, il nous semble que ce double 
objectif a été atteint 1  et nous espérons que cette première 
publication sera le début d’un processus qui se poursuivra dans 
les années à venir. 
Ce chapitre introductif est composé de deux parties. 
Premièrement, nous chercherons à faire un tour d’horizon des 
différents enjeux qui, à nos yeux, peuvent guider l’étude des 
mondes de la musique en Suisse et qui font leurs particularités. 
Cette première partie permettra de mettre en évidence ce que 
l’étude du fait musical peut nous apprendre sur la Suisse. 
Deuxièmement, nous passerons en revue les principaux travaux 
déjà entrepris ainsi que les défis de ce champ de recherche 
encore en friche. Ce sera notamment l’occasion de faire un bilan 
● 
1 Nous tenons à remercier les différentes personnes et instances qui ont 
contribué à la réussite de cet événement et à la publication de ce livre, les 
auteurs bien sûr, mais aussi l’Institut des sciences sociales de l’Université de 
Lausanne et l’Institut de recherches sociologiques de l’Université de 
Genève. 
8 
 
des enseignements de cette première journée d’étude et de 
revenir sur les questions transversales qui se sont posées tout au 
long de la journée ainsi que lors de la table ronde qui l’a 
prolongée2. 
TOUR D’HORIZON DES ENJEUX D’UN CHAMP DE 
RECHERCHE EN FRICHE 
La vie musicale suisse est foisonnante. L’affirmation peut 
sembler surprenante, voire exagérée, pourtant, les chiffres issus 
des enquêtes successives sur les pratiques culturelles menées par 
l’Office fédéral de la statistique (OFS) donnent la mesure de la 
place qu’occupe la musique dans la vie de la population suisse. 
Mais comment ces réalités statistiques se traduisent-elles au 
quotidien ? Quelle est la place de la culture musicale ? Et quels 
sont les enjeux qui participent à façonner le paysage musical 
suisse, aussi bien sur le plan politique, économique que social ? 
Sans prétendre répondre de manière exhaustive à toutes ces 
questions, cette introduction se propose de passer en revue 
certains enjeux qui structurent les mondes de la musique en 
Suisse. 
LA MUSIQUE AU QUOTIDIEN :  
ÉCOUTE ET PRATIQUE EN AMATEUR 
D’après la dernière enquête de l’OFS, plus de sept habitants sur 
dix se sont rendus au moins une fois à un concert au cours de 
l’année écoulée (OFS, 2016). Cette proportion est plus 
● 
2 Table ronde qui a réuni Manu Hagmann (contrebassiste et membre du 
conseil d’administration du Syndicat musical suisse), Christian Fighera 
(cofondateur du label Two Gentlemen Records) et Nicolas Gyger (État de 
Vaud, vice-président de la Fondation pour la chanson et les musiques 
actuelles) au Bourg à Lausanne autour de la thématique « Produire de la 
musique en Suisse : Défis, enjeux et opportunités de l’espace national 
helvétique ». 
9 
importante que dans de nombreux autres pays, comme la France, 
où seules cinq personnes sur dix rapportent s’être rendues à un 
spectacle vivant au cours des douze derniers mois (Donnat, 
2009). En termes de consommation de musique en concert, la 
Suisse se situe dans le peloton de tête au niveau européen 
(Eurostat, 2011). Même constat en ce qui concerne la 
consommation de musique enregistrée : 95 % de la population 
suisse écoutent de la musique en privé (OFS, 2016). Ces données 
interrogent la place qu’occupe la musique dans la vie de la 
population, non seulement dans les situations d’écoute 
identifiées comme telles (fréquentation de concerts notamment), 
mais également dans la vie quotidienne (DeNora, 2000). Ceci 
suppose notamment de s’intéresser aux transformations des 
modes d’écoute, notamment celles liées aux technologies 
numériques. Le marché suisse de la musique enregistrée, comme 
dans de nombreux autres pays, connaît en effet une baisse 
importante des ventes de CDs au profit de l’émergence de 
nouveaux supports comme le streaming ou le téléchargement 
(IFPI Suisse, 2016). Ces reconfigurations des pratiques, des 
dispositifs et des usages représentent un premier enjeu de la 
description des mondes de la musique en Suisse. Il s’agit de 
comprendre comment elles participent à transformer non 
seulement l’écoute musicale, mais également les modes de 
diffusion et de production de la musique. 
Une des particularités des pratiques d’écoute en Suisse réside 
dans le fait qu’elles s’inscrivent dans les modes de consommation 
de ménages bénéficiant souvent d’importants moyens d’accès à 
la culture 3 . La Suisse est un pays qui importe beaucoup de 
musique (Moon, Barnett, et al., 2010) et constitue un marché 
non négligeable malgré la taille réduite de la population (Rutten, 
1996). On peut donc légitimement se poser la question de 
● 
3 Les ménages suisses font partie de ceux qui dépensent le plus d’argent 
dans la culture au niveau européen : environ 5 % des dépenses de 
consommation sont consacrées à ce poste (Eurostat, 2011 ; OFS, 2013). Il 
faut néanmoins rester attentif au fait qu’il ne s’agit que d’une moyenne et 
que cela n’empêche pas d’importantes disparités entre les ménages.  
10 
 
l’influence de ces importantes dépenses culturelles sur les modes 
de consommation de musique et les pratiques d’écoute 
(participent-elles, par exemple, à démocratiser certaines 
pratiques ?). En outre, il s’agit de s’interroger sur les différences 
entre groupes sociaux, régions linguistiques ou encore classes 
d’âge parmi les auditeurs.  
La population suisse n’est pas seulement une grande 
consommatrice de musique. Les données de 2014 indiquent que 
19 % des habitants de la Suisse pratiquent le chant et 17 % 
jouent d’un instrument (OFS, 2016). En comparaison 
internationale, ces taux ne s’élèvent par exemple qu’à 
respectivement 8 % et 12 % en France (Donnat, 2009). Même 
aux États-Unis d’Amérique, pourtant un pays où l’on considère 
que la musique (les « musiques actuelles » notamment) a une 
importance de premier plan, seuls 13 % de la population pratique 
un instrument (NEA, 2009). Cette donnée renvoie à un 
deuxième enjeu pour la recherche sur la musique en Suisse : il 
faut s’interroger sur le rôle de ces pratiques dans la vie 
quotidienne. Comment participent-elles, par exemple, à la vie 
sociale du pays ? Quelle est la place donnée à la musique au sein 
du système scolaire helvétique et plus largement dans la manière 
de penser l’éducation ? Ces questions sont intimement liées à la 
fois à celles des pratiques d’écoute, mais également à la 
production musicale, du marché de l’emploi musical à 
l’organisation de l’industrie de la musique4. Les musiciens font, 
en effet, eux-mêmes bien souvent aussi partie du « public » à un 
titre ou un autre, de telle manière que la production et de la 
consommation de musique s’imbriquent totalement l’une dans 
l’autre (Perrenoud, 2004).  
● 
4 Sur ce sujet, voir le chapitre de Perrenoud et Bataille dans cet ouvrage, p. 
101 et suivantes.  
11 
ÊTRE MUSICIEN EN SUISSE :  
PARTICULARITES DU MARCHE DE LA MUSIQUE 
HELVETIQUE 
Les pratiques quotidiennes de la musique s’adossent donc aux 
logiques économiques et professionnelles. L’enjeu est pour 
commencer de décrire comment les musiciens mettent en place 
des modèles économiques qui leur permettent de vivre de leur 
activité. Le travail musical se décompose en un ensemble de 
tâches dont certaines peuvent paraître éloignées de la 
représentation en public ou de l’enregistrement (Perrenoud, 
2007 ; Perrenoud et Leresche, 2015). Se pose alors la question 
des stratégies développées par les musiciens pour saisir les 
opportunités offertes par le marché. Plus largement, il est 
nécessaire de comprendre les logiques qui organisent la carrière 
de musicien en Suisse. Pour cela, il faut notamment identifier les 
acteurs et les dispositifs qui participent à la consécration 
artistique. La question de la construction des réputations est un 
important élément structurant des carrières qui définit les 
possibilités de s’insérer dans un marché de l’emploi, comme le 
montre l’exemple des concours de musique classique (Odoni, 
2015). Ensuite, qu’en est-il des logiques de genre ? Comment se 
traduisent-elles dans la carrière des musiciens et des 
musiciennes ? Comment l’activité musicale dans un cadre 
professionnel est-elle considérée dans la société suisse ? Sur ces 
différents éléments, l’étude Musicians’ Lives nous fournit plusieurs 
éléments de compréhension précieux pour saisir la réalité du 
travail musical en Suisse (voir Perrenoud et Chapuis, 2016 ; 
Perrenoud et Leresche, 2015 ; Perrenoud et Bataille, 2017 ; mais 
également le chapitre de Perrenoud et Bataille dans cet ouvrage).  
Cet enjeu nécessite également de s’y intéresser du point de 
vue des particularités du système social helvétique. Par exemple, 
le système d’indemnisation chômage mis en place pour les 
intermittents du spectacle est plutôt défavorable aux musiciens 
comme le montrent Perrenoud et Bataille. Il s’agit d’ailleurs d’un 
enjeu pour l’État. Comme le rappelait Nicolas Gyger (État de 
12 
 
Vaud et vice-président de la FCMA) lors de notre table ronde, 
l’objectif des pouvoirs publics est de prévenir la précarisation 
d’un groupe professionnel et d’éviter que des individus se 
retrouvent à l’aide sociale, notamment lorsqu’ils arrivent à la 
retraite5.  
Plus largement, il s’agit de comprendre comment le marché de 
la musique s’organise en Suisse. Pour ce faire, il est nécessaire 
d’élargir la focale et de prendre en considération l’ensemble des 
acteurs participant activement à la production de musique, ceux 
que Becker (2010) appelle le personnel de renfort : ingénieurs du 
son, agents, manageurs de label, programmateurs de salles de 
concert, etc. Ces acteurs intermédiaires, qui ont parfois été laissés 
de côté par les analyses sociologiques, participent activement à 
construire les marchés de la musique (Lizé, Naudier, et al., 2011). 
Aujourd’hui, l’Industrie musicale représente en Suisse plus de 
30'000 emplois pour un chiffre d’affaires annuel de 1.8 milliard 
de francs suisses (OFC et OFS, 2016). L’enjeu est ici d’identifier 
qui sont les réseaux d’acteurs qui forment ensemble le marché 
helvétique de la musique, les conventions qui régissent leurs 
coopérations et les ressources qu’ils mobilisent. La question de 
l’inscription de ces réseaux dans l’espace se pose également. Il 
s’agit d’examiner s’il existe des discontinuités entre les régions 
linguistiques, mais également de comprendre comment ces 
acteurs s’intègrent dans des réseaux translocaux et une industrie 
de la musique globalisée. 
Ces questions doivent notamment être traitées au regard des 
transformations que l’industrie musicale connaît à l’échelle 
mondiale. Alors que longtemps le marché de la musique a été 
dominé par l’industrie du disque et ses majors (Lebrun, 2006), on 
observe depuis plusieurs années la montée en puissance de 
● 
5 Voir également l’enquête 2016 de Suisseculture Social sur les conditions 
de vie des artistes en Suisse : 
http://www.suisseculturesociale.ch/fileadmin/docs/1611_SCS_enquete_r
evenus_et_protection_sociale_des_artistes.pdf, (consulté le 2 décembre 
2016).  
13 
nouveaux acteurs issus de la nouvelle économie numérique ou de 
l’industrie du live (Hesmondhalgh et Meier, 2015). En Suisse, par 
exemple, l’agence de production de concert zurichoise Gadget6 
s’est lancée dans le management de groupe et la production 
d’albums. Ces changements concernent également le mécénat, 
qui s’est développé y compris sous de nouvelles formes au cours 
de la dernière décennie (Piraud et Pattaroni, 2016). On peut 
donner l’exemple du Pourcent Culturel Migros dont les 
financements participent à soutenir de nombreuses manifestions, 
mais également la création. Cette influence se traduit entre autres 
par un festival – le M4music – dont le nom évoque celui de 
l’enseigne de la grande distribution. L’enjeu est ici de saisir 
comment ces nouvelles dynamiques transforment les modes de 
production de la musique ainsi que le marché de l’emploi 
musical.  
DES POLITIQUES CULTURELLES EN MUTATIONS :  
PROMOTION CULTURELLE ET INDUSTRIES 
CREATIVES 
Ces mutations concernent également les politiques publiques. 
Depuis le milieu des années 90, on observe un important 
développement des politiques destinées à soutenir la création et 
faciliter la diffusion de musique suisse à l’étranger7. À travers ces 
outils, la Suisse semble s’être engagée, sur le modèle d’autres pays 
comme la Suède ou l’Islande, dans la volonté de faire de la 
musique une industrie d’exportation et un moyen de rayonner à 
● 
6 Qui gère notamment les intérêts de groupes suisses à succès comme 77 
Bombay Street ou Lovebugs.  
7 Qui n’est pas sans rappeler les politiques publiques mises en place dans le 
même temps pour faire du cinéma suisse une industrie à succès (voir 
Moeschler, 2011). D’ailleurs, le cinéma est régulièrement cité en exemple 
par les acteurs militant pour une politique au niveau fédéral.  
14 
 
l’étranger8. La Confédération dispose des plusieurs organismes 
chargés de promouvoir la culture helvétique et qui mobilisent 
activement les musiciens suisses pour forger l’image du pays à 
l’étranger9. Dans un registre différent, la fondation Swiss Music 
Export a pour objectif de soutenir l’exportation de musique en 
finançant des tournées et en facilitant le contact entre des artistes 
suisses et des professionnels à l’étranger. À l’échelle cantonale et 
communale10, plusieurs programmes offrant des financements, 
des conseils ou des résidences ont également été mis en place au 
cours des dernières décennies. On peut citer la Fondation 
romande pour la chanson et les musiques actuelles qui est 
mandatée par les cantons et les grandes villes de Suisse romande 
pour conseiller et soutenir les artistes lors la production d’albums 
ou l’organisation de tournées. 
L’enjeu n’est pas uniquement de comprendre comment ces 
nouvelles politiques se mettent en place et avec quels objectifs, 
mais également de saisir les mutations dans les usages de la 
culture sur un plan politique et économique. En effet, en 
Europe, on observe un déplacement de politiques culturelles 
d’une volonté de garantir l’accès à la culture à celle de soutenir à 
un secteur économique (Menger, 2010). Il est donc nécessaire 
d’examiner comment ces changements se traduisent dans le 
● 
8  Sur la Suède, voir Burnett et Wikström (2006) et Baym (2011), sur 
l’Islande, Prior (2014). À ce titre, Feusi et Küttel (2011) défendent l’idée 
que le modèle suédois est un exemple que la Suisse devrait suivre. 
9 Par exemple, Présence Suisse — l’organisme responsable de l’image de la 
Suisse à l’étranger — organise régulièrement des concerts avec des artistes 
suisses, comme ce fut le cas lors de l’Exposition universelle à Milan en 
2015. Dans un registre proche, la fondation Pro Helvetia contribue 
activement à faire connaître les artistes suisses notamment à travers ses 
différents centres culturels à l’étranger. Le centre culturel suisse de Paris 
accueille ainsi régulièrement des concerts d’artistes suisses, voire des 
délocalisations de festivals comme le Bad Bonn Kilbi. 
10 En Suisse, les cantons et les communes restent les principales entités en 
charge des politiques culturelles (voir Ducret, 2009 ; OFS, 2010 ; Moeschler 
et Thévenin, 2012). 
15 
contexte helvétique, notamment à la vue des particularités du 
système politique helvétique.  
Ces changements ont des impacts sur le paysage culturel du 
pays, notamment dans les villes. Les investissements dans la 
musique se traduisent par de nouvelles infrastructures 
culturelles11. Ces grands équipements s’ajoutent aux nombreuses 
salles de taille plus modeste et à la floraison des festivals que 
connaît le pays 12 . Cependant, si certains types de lieux se 
multiplient et que globalement l’offre de musique tend plutôt à 
augmenter, cette tendance ne doit pas occulter que l’existence 
d’autres lieux est remise en question. Les récents déboires qu’ont 
connus successivement des institutions issues des mouvements 
de luttes urbaines des années 1980 (parfois identifiés comme 
« mouvements squats »), comme l’Usine à Genève, le Fri-Son à 
Fribourg ou la Reithalle à Berne en sont le témoignage. La 
musique se trouve ainsi régulièrement au cœur des luttes 
politiques de l’histoire culturelle suisse. Dans les années 1980 
déjà, c’est autour d’elle que se cristallisent les mouvements des 
luttes urbaines et des grandes manifestations pour réclamer des 
espaces pour la « culture jeune », dans différentes villes du pays et 
notamment à Zürich (Raboud, 2015 ; ainsi que le chapitre dans 
cet ouvrage).  
Ces mouvements ont, à ce titre, contribué à ouvrir de 
nouveaux horizons et ont été dans de nombreuses villes à 
l’origine d’une nouvelle génération d’institutions culturelles. 
● 
11 On peut penser à des salles de concert comme le KKL (Kultur- und 
Kongresszentrum Luzern) – grande philharmonie construite par 
l’architecte Jean Nouvel à Lucerne en 1998 (voir Schwab, 2009) – ou les 
Docks, salle de concert consacrée aux musiques actuelles à Lausanne 
inaugurée 2005. 
12  Pour s’en convaincre, il suffit de consulter la liste des membres de 
l’association Petzi, la faîtière des clubs et des festivals de Suisse :  
http://petzi.ch/index.php?page=clubs&action=clubsearch&genre=1&sear
chquery=&canton=&senden=Rechercher, (consulté le 26 août 2017) et de 
noter que désormais chaque ville même de taille moyenne dispose de sa 
salle de concert. 
16 
 
L’enjeu est de comprendre comment les modes d’organisation et 
les institutions de la culture sont remises en question et 
transformés par de tels mouvements. Cette étude des institutions 
culturelles doit également prendre en compte les mutations plus 
récentes liées notamment aux technologies numériques. Face au 
succès de nouveaux supports, à l’émergence de nouvelles 
pratiques, et à la concurrence de nouveaux acteurs, certaines 
institutions publiques doivent réinventer leur rôle et trouver leur 
place dans ce paysage nouveau. Ces transformations affectent 
non seulement les mondes de la musique, mais également plus 
largement le tissu culturel, urbain et social du pays.  
QU’EST-CE QUE LA MUSIQUE SUISSE ? 
Au-delà, de ces enjeux économiques et politiques, se pose la 
question de la définition de la musique suisse. La musique se 
caractérise par sa fluidité, sa capacité à passer les frontières, et les 
échanges translocaux sont répandus dans les mondes de la 
musique (Bennet et Peterson, 2004). Le cas de la chanteuse 
Sophie Hunger illustre cette ambivalence. Alors qu’elle est 
célébrée comme une réussite pour la musique suisse 13 , la 
chanteuse vit depuis plusieurs années à l’étranger, chante dans 
plusieurs langues et collabore avec des musiciens issus du monde 
entier. Inversement, on peut se poser la question des influences 
des différents mouvements migratoires en Suisse sur la 
production de musique helvétique. Certaines migrations ont-elles 
joué une influence majeure comme ce fut le cas pour le cinéma 
suisse (La Barba, 2016) ? L’exemple du chanteur italien Pippo 
Pollina nous invite à prendre cette hypothèse au sérieux. Installé 
depuis plusieurs années à Zürich, il a connu une bonne partie de 
ses principaux succès en Suisse alémanique tout en ne chantant 
qu’en italien (voir également le chapitre de Pellegrini et Cattacin 
dans cet ouvrage).  
● 
13 Elle a été lauréate du Grand Prix suisse de musique en 2016. 
17 
Indirectement, dans un marché fortement importateur de 
musique, la question de la « musique suisse » interroge également 
la notion de reconnaissance. Ce point fut soulevé par exemple 
lorsqu’en 2014 le rappeur bernois Kutti MC adressa une lettre 
ouverte au directeur de la radio et télévision publique suisse 
alémanique pour critiquer le manque d’audace de la chaine et lui 
reprocher de ne pas faire suffisamment de place aux artistes 
suisses sortant du carcan commercial dans sa programmation 
d’artistes suisses 14 . Ce sentiment d’un manque d’attention 
médiatique et de reconnaissance a été documenté par plusieurs 
recherches (Hänecke, 1991 ; Riom, 2016). D’ailleurs, de 
nombreux groupes helvétiques ont connu le succès à l’étranger 
bien souvent sans que ce soit le cas du moins dans un premier 
temps en Suisse. C’est par exemple le cas de groupes de metal 
comme les Valaisans de Samael, les Genevois de Knut ou les 
Zurichois de Celtic Frost qui tous connurent sur la scène metal 
mondiale un certain succès ponctué par plusieurs tournées 
internationales. D’autres exemples de succès dans des réseaux 
indépendants peuvent être mis en avant comme Liliput 
(Kleenex) considéré comme des avant-gardes du punk féministe, 
le Bernois Reverend Beat-Man ou Sportguitar dont les albums 
sont sortis sur les labels états-uniens SupPop et Matador.  
À l’inverse, dans certaines villes, des scènes très marquées se 
sont développées. C’est le cas par exemple du Mundart à Berne 
qui a vu l’émergence de nombreux groupes à succès comme Züri 
West, Stiller Has ou Polo Hofer s’inscrivant dans l’héritage des 
Berner Troubadours et de Mani Matter (Seago, 2000). Dans un 
pays plurilingue comme la Suisse, la question de la langue mérite 
en particulier d’être examinée, d’autant plus qu’il n’existe pas 
comme en France de politique de quotas de musique dans les 
langues nationales15.  
● 
14  https://www.facebook.com/srf3/posts/10152624807073402, (consulté 
le 24 août 2017). 
15  Il vaut ajouter à cela la question des dialectes alémaniques qui 
enrichissent encore le paysage linguistique suisse.  
18 
 
Se pose également la question de la patrimonialisation de la 
musique. Jusqu’à maintenant, une large partie de ce travail de 
documentation a été entrepris par les acteurs eux-mêmes. Par 
exemple, au cours des dernières années plusieurs livres consacrés 
à la scène alternative des années 80 ont été publiés16, mais des 
expositions ont aussi été organisées17. On peut également citer 
l’ambitieux projet de numérisation des archives vidéo du 
Montreux Jazz festival mené par l’École polytechnique fédérale 
de Lausanne 18 . Sur ces questions, un travail scientifique est 
nécessaire à la fois pour faire une véritable historiographie de la 
musique en Suisse, mais également pour comprendre comment 
se construisent les mythes des mondes de la musique helvétique.  
La liste des enjeux que nous venons de dresser n’est bien sûr 
pas exhaustive. Néanmoins, elle donne la mesure du travail qui 
reste encore à accomplir. Plusieurs de ces pistes sont reprises et 
traitées de manière plus approfondie au fil des chapitres qui 
composent ce livre. Nous avons cherché ici à montrer la 
nécessité à la fois scientifique et sociétale de se pencher sur ces 
questions. Sur un plan scientifique, il nous semble que plusieurs 
des caractéristiques sociales, politiques ou économiques de la 
Suisse peuvent venir enrichir notre compréhension des questions 
de fond liées au travail artistique et à l’emploi musical, dont on 
peut considérer qu’ils constituent un laboratoire de la 
flexibilité/précarité sur les marchés du travail contemporains 
(Boltanski et Chiapello, 1999 ; Menger, 2002). Par ailleurs, nous 
● 
16 On peut penser à des livres comme Heute und Danach (Grand Lurker et 
Tschan André, Zürich : Patrick Frey, 2012) ou Time is Now. Pop Musik in der 
Schweiz heute (Zürich : Limmat Verlag, 2016), mais aussi aux différents livres 
sortis pour les anniversaires de centres culturels comme le Fri-Son (Fris-
Son 1983-2013, Zürich : JRP/Ringier, 2013) ou d’associations comme Post 
Tenebras Rock (Post Tenebras Rock, une épopée électrique 1983-2013, 
Genève : La Baconnière, 2013).  
17 Comme celle organisée en 2014-15 au Musée de la communication de 
Berne « Oh Yeah ! La musique pop en Suisse » : 
http://www.mfk.ch/fr/expositions/archives/retrospective-
older/#OhYeahF, (consulté le 24 août 2017). 
18 Voir http://metamedia.epfl.ch/, (consulté le 24 août 2017).  
19 
pensons que l’étude par les sciences sociales du fait musical en 
Suisse peut permettre de poser un regard original sur la société 
suisse en abordant un fait social majeur (on a vu combien la 
musique tient une place importante en Suisse), mais qui reste 
encore largement méconnu. Enfin, notre démarche s’inscrit dans 
une articulation nécessaire avec la pratique et les professions de 
la musique en Suisse. En 2001, dans le document qui allait servir 
de base à l’élaboration des travaux sur les pratiques culturelles, 
les responsables de l’OFC et de l’OFS notaient, en reprenant les 
conclusions d’un rapport de Pro Helvetia, que « la mise sur pied 
et le développement du "domaine recherche culturelle" est 
absolument nécessaire pour une politique culturelle cohérente » 
(OFS et OFC, 2001, p. 5‑6). C’est bien dans cette perspective 
que se situe notre travail. Nous considérons que le présent 
ouvrage tout comme la tenue à Lausanne en janvier 2018 du 
colloque international Working in music #2 (après l’édition de 
Glasgow en 2016) ou la parution à venir aux éditions Antipodes 
d’un ouvrage reprenant les résultats de l’enquête Musicians’ Lives 
(Perrenoud et Bataille, 2018, à paraître) permettent une avancée 
de la connaissance qui sera également bénéfique aux mondes de 
la musique.  
UN CHAMP DE RECHERCHE ENCORE A 
STRUCTURER 
Malgré la richesse du paysage musical suisse, les recherches sur le 
sujet sont encore rares. En sociologie, les travaux d’Alfred 
Willener sur les instrumentistes d’orchestre (p. ex. Willener, 
1988, 1998) ont été précurseurs, du moins en Suisse romande. La 
question du métier de musicien a été depuis reprise par le projet 
Musicians’ Lives, dont est issue la contribution de Marc Perrenoud 
et Pierre Bataille dans ce livre. Du côté des études sur la 
diffusion et la réception, on peut citer le projet Broadcasting 
Swissness mené conjointement par les universités de Zürich, de 
Bâle et la Haute École de musique de Lucerne qui cherche à 
saisir la construction de la « suissitude » à travers la diffusion des 
20 
 
musiques populaires à la radio. Sur le plan statistique, depuis le 
début des années 2000, l’OFS produit régulièrement des 
données, notamment sur les pratiques culturelles. On peut ici 
saluer le travail effectué dans ce domaine par Olivier Moeschler, 
responsable du secteur culture à l’OFS dont les enquêtes 
successives ont apporté de nouveaux éléments à la 
compréhension du paysage musical suisse (OFS, 2005, 2011, 
2016). À ces recherches d’envergure, il faut ajouter les 
nombreuses enquêtes, thèses de doctorat ou encore mémoires 
qui viennent documenter l’étude des mondes de la musique en 
Suisse. 
Toutefois, si ces recherches contribuent à leur manière à 
mieux comprendre certains aspects de la production, de la 
consommation et de la diffusion de musique en Suisse, elles 
restent encore très dispersées. Il manque encore des passerelles 
qui permettraient de mieux saisir les grands enjeux qui traversent 
les mondes de la musique en Suisse. En effet, est-il possible de 
comprendre la production des groupes de rock indépendant sans 
saisir les enjeux du marché de l’emploi musical ? Peut-on 
comprendre les stratégies d’insertion professionnelle des 
musiciens sans s’intéresser à l’étendue des pratiques strictement 
inscrites dans l’amateurisme ? Peut-on décrire le développement 
des politiques culturelles sans les inscrire dans une histoire des 
mondes de la musique en Suisse ? Il nous semble que non, d’où 
la nécessité de rassembler ces savoirs de manière à pouvoir les 
articuler et les faire fructifier.  
QUELQUES PREMIERS ENSEIGNEMENTS  
À ce titre, cette journée d’étude a déjà permis de poser un certain 
nombre d’éléments transversaux pour la compréhension du fait 
musical dans le territoire national suisse et certaines particularités 
ont été soulignées par plusieurs communications. Elles permet-
tent d’esquisser quelques premières articulations entre musique 
21 
suisse et musique en Suisse qui devront être affinées dans des 
travaux à venir. 
Premièrement, le fort taux de pratique musicale a pour consé-
quence de fournir aux professionnels des opportunités supplé-
mentaires en termes de rémunération, mais aussi d’insertion 
professionnelle. En cela, le marché de l’emploi musical suisse 
prend une structure tout à fait particulière (voir le chapitre de 
Perrenoud et Bataille et celui de Nikoghosian).  
Deuxièmement, cette spécificité a certainement une influence 
sur la diffusion de la musique. Effectivement, les professeurs de 
musique sont en majorité des musiciens insérés dans le marché 
de la performance et/ou de l’enregistrement, intégrés aux dyna-
miques qui animent les mondes de la musique et ils participent 
de cette manière à diffuser et légitimer de nouvelles pratiques 
musicales.  
Troisièmement, autre constat très clair a été fait au cours de 
cette journée d’étude : si l’on veut être en mesure de comprendre 
les dynamiques à l’œuvre dans le monde de la musique en Suisse, 
on ne peut faire l’économie de s’intéresser aux relations transna-
tionales. Qu’il s’agisse d’organiser un concert dans une cave à 
jazz de Zürich, de monter un tribute band ou de diffuser un clip de 
rap, les mondes de la musique en Suisse débordent sans cesse le 
territoire national. La taille du marché intérieur semble être une 
des raisons qui pousse auditeurs et musiciens à se tourner vers 
l’étranger. Néanmoins, on peut également faire l’hypothèse que 
la forte ouverture économique et culturelle de la Suisse à travers 
son intégration aux aires d’influence allemande, française et ita-
lienne, ou sur le plan des migrations, pèse aussi dans la balance.  
Nous espérons que ce livre donnera des bases pour la 
compréhension des mondes de la musique en Suisse, mais 
également qu’il permettra de montrer comment la musique 
participe à façonner la société helvétique. Il commence par deux 
chapitres historiques qui en reprenant l’histoire des musiques 
populaires depuis les années 1950 permettent une mise en 
perspective de la situation actuelle dans le temps long. Le 
22 
 
chapitre de Christian Steulet dresse un portrait des musiques 
jazz, puis pop à travers leurs différents lieux de diffusion jusque 
dans les années 1970. Puis, celui de Pierre Raboud se focalise 
plus spécifiquement sur les années 1970 aux années 1980 et les 
événements qui ont amené aux différentes manifestations pour 
l’obtention de centres culturels pour les jeunes. Les chapitres 3 et 
4 traitent plus spécifiquement des enjeux de la musique en suisse 
au regard des dynamiques migratoires. Sandro Cattacin et Irene 
Pellegrini montrent l’influence qu’a eue la musique italienne à la 
fois sur l’intégration des Italiens en Suisse et le paysage musical 
du pays. Luca Preite revient sur le cas de secondos issus de 
l’immigration balkanique. En s’appuyant sur le cas du rappeur 
Baba Uslender, il décrit comment la musique sert d’espace 
d’expression pour ces jeunes. Les deux chapitres suivants se 
concentrent plus spécifiquement sur la question du travail 
musical. Dans leur chapitre, Pierre Bataille et Marc Perrenoud 
font état des résultats de l’enquête Musicians’ Lives sur les carrières 
des musicien.ne.s ordinaires en Romandie et la structure du 
marché du travail musical. De son côté, Nuné Nikoghosian 
décrit le monde des tribute bands en Suisse et les spécificités de 
l’engagement professionnel dans cette pratique. Enfin, le dernier 
chapitre du livre est consacré à la question des pratiques 
culturelles et de leur inscription dans un paysage culturel local. 
Loïc Riom cette question à travers les pratiques des spectateurs 
de musique classique dans une grande ville de Suisse romande.  
Cet ouvrage pourrait constituer le premier pas vers une mise 
en commun des travaux en sciences sociales sur la musique en 
Suisse, nous espérons en tout cas avoir montré l’intérêt d’une 
telle démarche. 
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27 
CHANGEMENTS DE PLATEAUX : 
LA SCENE MUSICALE POPULAIRE EN SUISSE, DES 
NUITS DE JAZZ A SUPER POP MONTREUX 
par Christian Steulet 
PREAMBULE 
Jusqu’à la fin du siècle dernier, peu de sources audiovisuelles 
documentaient les performances des musiciens sur scène. 
Quelques concerts avaient fait l’objet d’éditions commerciales, 
dont certaines devenues légendaires, le reste des enregistrements 
étant en mains privées ou, plus rarement, déposés dans des 
institutions publiques. Depuis un certain temps, les musiques 
populaires et leur héritage font l’objet de recherches plus 
systématiques, et une partie des archives audiovisuelles sont 
restaurées et mises en valeur19. 
Cette ouverture sur la performance permet d’éclairer 
différemment un champ d’expression qui a joué un rôle essentiel 
dans la transmission des traditions musicales en Suisse depuis la 
fin de la Seconde Guerre mondiale. 
Les deux décennies sous revue (1950-1970) sont marquées 
par une évolution des plateaux, soit les dispositifs scéniques mis 
à disposition, ainsi que des pratiques des musiciens, tant dans 
leurs choix de vie que dans leur jeu musical. Partant du fait que la 
● 
19 Entre autres initiatives, deux des principaux festivals organisés en Suisse 
mettent leur patrimoine audiovisuel à disposition : le Montreux Jazz 
Festival (depuis 1967) et le Jazz Festival Willisau (depuis 1975). 
28 
 
performance a toujours précédé le récit sur la musique, ma 
contribution à la journée d’étude « La musique en Suisse sous le 
regard des sciences sociales » cherche à éclairer quelques 
changements intervenus entre les « Nuits de Jazz » au début des 
années 1950, et les concerts labellisés « Super Pop Montreux » au 
début des années 1970. 
LA SCENE MUSICALE POPULAIRE ET SON 
AUTONOMISATION 
La scène musicale représente un ensemble d’espaces permettant 
de relocaliser et d’échanger des pratiques au sens où l’entend Will 
Straw20. Comprise ainsi, une scène ne se limite pas aux frontières 
stylistiques définies par le marché de la musique et la réception 
de celle-ci. Chacun des espaces concernés se caractérise par un 
mode particulier d’interactions qui peuvent parfois mener, selon 
le contexte et les échanges, à la construction d’une autonomie 
propre21 . Dans le domaine des musiques populaires, dont les 
frontières sont floues et qui naissent avec la société de la 
répétition, ces espaces symbolisent autant de signatures 
phoniques selon Peter Wicke22. Au départ, les musiques qui y 
sont jouées ne sont pas forcément celles du plus grand nombre ; 
elles le deviennent parfois en réunissant les hommes à distance, 
● 
20 Straw (1991, p. 372) : « A musical scene is that cultural space in which a 
range of musical practices coexist, interacting with others within a variety 
of processes of differenciation, and according to widely varying trajectories 
of change and cross-fertilization. » 
21 Matarasso (2005, p. 232) : « Si l’autonomie en tant que telle n’est pas une 
qualité intrinsèque de l’homme, les dispositifs qui la favorisent jouent un 
rôle essentiel. » (Traduction de l’allemand par l’auteur). 
22 Wicke (2001, p. 13-14) : « C’est précisément cette symbiose entre le son 
et un entrelacs de processus culturels, économiques et technologiques qui 
est au cœur même de ce qui est populaire en musique. […] Au plan 
musical, le résultat est incertain, aléatoire et soumis à des variations 
incessantes, à la fois hétérogène, ambivalent et contradictoire ». (Traduction 
de l’allemand par l’auteur.) 
29 
en favorisant la mobilité sociale ainsi que la construction de 
nouvelles identités. 
Partant des orchestres qui se produisent sous l’étiquette 
« Jazz » pendant la seconde guerre mondiale en Suisse, à la scène 
des amateurs qui s’épanouit après la fin du conflit, et suivie par le 
mouvement « Beat » des années 1960, les musiciennes et les 
musiciens ont conjugué de façon plus ou moins autonome 
l’héritage musical qui leur a été légué. Quels furent donc les 
plateaux à disposition, et comment ont-ils évolué ? Ma réflexion 
s’organise autour de deux photos, l’une prise à Neuchâtel en 
1953, l’autre à Montreux en 1970.  
Photo 1 : Lil Hardin Armstrong, Hôtel Beau-Rivage, 1953. 
 
Lil Hardin Armstrong, Nuit de Jazz à l’Hôtel Beau Rivage, Neuchâtel. Photo non datée, 
probablement automne 1953.  
Sources : Archive privée Jacques Fleury, Genève. 
 
30 
 
 
Photo 2 : Led Zeppelin, Casino de Montreux, 1970. 
 
Led Zeppelin en concert, Lido du Casino de Montreux, 7 mars 1970.  
Sources : Photo de Jean-Pierre Leloir. 
LES MICROCULTURES DU JAZZ 
À la fin de la décennie 1940, les lieux investis par les jeunes 
musiciens amateurs sont soit des caves et des cafés, soit des 
cercles privés. L’on s’y réunit pour marquer sa différence dans les 
prémisses d’une adolescence plus ou moins rebelle, à l’exemple 
des « Stenz » (existentialistes) à Zürich. L’itinérant « Trester 
Club » (1949-1951) est animé par un groupe d’étudiants de 
l’École des Arts graphiques ; au programme, petits concerts et 
soirées d’écoute. Le Café Maroc, lieu de rencontre des 
gymnasiens, fait office de salon de musique et de bourse aux 
disques. Un premier club plus officiel, le Basin Street Club 
(1953-1956), ne propose qu’un seul concert hebdomadaire, mais 
31 
fait office de précieux local de répétition (voir Spoerri, 2005 ; 
Staub, 2003). À Genève, les émules sont issus du cercle de 
l’association « Gymnasia », soit un milieu social plutôt aisé. La 
plupart des rencontres ont lieu dans un cadre privé. Ce terreau 
voit fleurir plusieurs Hot Clubs, les cercles qui célèbrent le jazz 
dit « authentique » et mettent sur pied les premières Nuits de 
Jazz 23 . Organisées à l’improviste, celles-ci n’ont pas laissé de 
traces. Il est vrai qu’à l’exception de l’Atlantis (Bâle, depuis 1947) 
et du Café Africana (Zürich, voir ci-dessous), la plupart des 
plateaux connaissent un destin éphémère, à l’exemple du Cat 
Club, un dancing reconverti en salle de concert à Genève, d’août 
1950 à octobre 1951 (voir Bouru, 2003). 
Quelques années plus tard, ces échanges musicaux gagnent un 
peu de visibilité. L’arc jurassien devient un des hauts lieux des 
Nuits de Jazz, et surtout les villes de Neuchâtel et de La Chaux-
de-Fonds. Ce sont des moments de danse et de transmission 
construits autour de la présence de musiciens afro-américains qui 
servent de modèles, à l’exemple du Bal du Hot Club de 
Neuchâtel animé par James Archey & His Riverboat Five à la 
Salle de la Rotonde à Neuchâtel le 29 novembre 195224. Dans ce 
contexte, le plateau est plus spacieux, parfois surélevé, et la 
programmation musicale associe des orchestres locaux et 
régionaux – jusqu’à huit groupes invités! – à un soliste ou à un 
orchestre américain. Les salles qui accueillent ces manifestations 
sont soit des cercles privés, comme le Cercle du Sapin à La 
● 
23 Ces organisations revendiquent le jazz comme l’art musical des Afro-
Américains. Spécifiques à l’Europe de l’après-guerre, elles constituent un 
réseau permettant à des jeunes issus de milieux sociaux différents de se 
rencontrer de façon autonome. L’historien anglais Éric Hobsbawm en 
atteste dans son ouvrage pionnier consacré à la scène du jazz (Newton, 
1966). 
24 Le sextette de James Archey pratique un jazz instrumental au tempo 
soutenu. Le répertoire est constitué de standards du jazz dansant (voir 
p. 45), et l’enregistrement laisse filtrer les sons venant d’un parterre de 
danseuses et de danseurs. Selon Fleury (2012), il s’agit de la première soirée 
du genre organisée à Neuchâtel. Les jeunes musiciens amateurs y concilient 
plaisir et transmission en partageant parfois la scène avec leurs idoles. 
32 
 
Chaux-de-Fonds, soit des hôtels ou des casinos. Il s’y déroule un 
premier mouvement d’autonomisation qui est d’ordre 
esthétique : le spectacle est vécu au-delà de toute logique 
marchande – hormis le cachet des vedettes invitées et, de temps 
à autre, un dédommagement pour les orchestres régionaux.  
La frontière entre les musiciens professionnels actifs sur le 
marché des musiques de danse et les musiciens amateurs trace 
une ligne de fracture très nette. Les conditions de travail des 
professionnels sont liées au marché de l’hôtellerie et de la 
restauration 25 . Pour les amateurs, jouer de la musique dite 
« commerciale » n’entre que rarement en ligne de compte. Outre 
les Nuits de Jazz, leur rendez-vous annuel est le « Nationales 
Amateur Jazzfestival Zürich » (1951-1968), le premier du genre 
organisé en Suisse à l’aide de sponsors, et qui fait l’objet de 
sélections régionales. Les enregistrements réalisés à cette 
occasion sur la scène du Cinéma Urban à Zürich montrent que 
les standards du jazz sont unanimement célébrés. Les orchestres 
qui concourent ont très peu de temps de jeu, et les lauréats sont 
choisis par un jury aux postures strictes26. 
Trouver des plateaux au cadre moins rigide est alors une 
priorité pour certains musiciens amateurs, qui s’y emploient avec 
plus ou moins de succès. De par sa longévité (1959-1967), le 
Café Africana, sis à la Mühlegasse 17, est un des lieux où leurs 
● 
25  L’Association suisse des Cafés-Concerts, Cabarets, Dancings et 
Discothèques (ASCO), gère ce marché et fournit des cartes de musicien. 
Celles et ceux qui donnent des concerts sans ce sésame risquent, selon les 
cantons, une arrestation pour vagabondage. 
26 De 1951 à 1960, ce festival amateur accueille plus de 4000 musiciens 
(Steulet, 1989). Voici un extrait des recommandations aux musiciens 
sélectionnés pour la finale lors de l’édition 1965 : « Évitez le “free jazz” et 
choisissez des thèmes et des rythmes simples qui vous permettront de jouer 
une musique propre et pleine de swing. Nous tolérons le plagiat, sachant 
qu’on apprend le mieux en copiant du bon jazz. Adaptez votre objectif à 
vos aptitudes de façon à livrer une bonne performance. Aucune attitude de 
“frimeur" ne sera tolérée. » Extrait du programme du festival amateur de 
jazz de Zürich (traduction de l’allemand par l’auteur). 
33 
attentes vont être comblées. Son gérant est conscient du pouvoir 
d’attraction de la musique auprès des jeunes, ainsi que de la 
situation stratégique de l’établissement au Niederdorf, le quartier 
chaud de Zürich. Le cadre est intime et la capacité limitée à une 
centaine de personnes. Un public d’étudiants, de musiciens 
amateurs et de noctambules s’y croise dans une ambiance 
décontractée. L’organisation de concerts est attestée depuis le 
milieu des années 1950. Dès 1959, la décoration est revue sur un 
mode exotique (boiseries, peintures et masques africains) ; une 
petite scène munie d’un léger cadre en bambou est organisée de 
plain-pied au centre du café. Le gérant propose dès lors une 
programmation musicale quotidienne27. 
Photo 3 : L’intérieur du Café Africana 
 
Café Africana, Zürich, avec les « Blue Notes » de Chris McGregor sur scène. Sources : Photo 
non datée de Art Ringger, probablement décembre 1964. 
● 
27 Concerts ou jam-sessions entre 12h et 14h, la tête d’affiche jouant entre 
17h et 19h, puis de 21h30 à minuit. De 19h à 21h, la scène est ouverte à un 
groupe local – soit plus de six heures de musique par jour. Des matinées 
dansantes ont lieu le dimanche. 
34 
 
 
Ce plateau accueille en tête d’affiche des musiciens afro-
américains, notamment les pianistes et chanteurs Joe Turner et 
« Champion Jack » Dupree, puis de 1962 à 1965 une diaspora 
sud-africaine dont l’esthétique musicale frappe les esprits : le 
pianiste Dollar Brand et le sextette « The Blue Notes »28. Un des 
seuls enregistrements réalisés à l’Africana et sauvegardés de nos 
jours documente une performance du trio de Dollar Brand (voir 
p. 45), dont le répertoire est constitué d’un mélange de 
compositions originales que Dollar Brand avaient écrites pour les 
« Jazz Epistles » en Afrique du Sud, d’un hymne polyphonique, et 
de standards du jazz. Parmi les mélomanes et les musiciens 
amateurs, personne ne connaissait alors l’existence d’une scène 
musicale sud-africaine dont le regard posé sur la tradition du jazz 
différait profondément du leur. Pour la pianiste Irène Schweizer 
en particulier, cette découverte fut un choc29. 
Un autre élément déterminant est la latitude accordée par le 
gérant à un groupe de musiciens locaux pour organiser les 
concerts et les échanges quotidiens avant la « vedette » du soir. 
Le clarinettiste et pianiste Remo Rau se consacrent dès lors à 
fédérer un réseau de musiciens zurichois autour de ces 
événements. Ce sont donc aussi bien le mode d’organisation de 
concerts que le répertoire joué qui vont évoluer durant ces 
années. Corollaire de ces évolutions, une partie de ces musiciens 
opère des choix importants à partir de 1965 30 . Ce second 
● 
28 Orchestre multiracial réunissant Chris McGregor (piano), Mongezi Feza 
(trompette), Dudu Pukwana et Nick Moyake (saxophones), Johnny Dyani 
(contrebasse) et Louis Moholo (batterie). 
29  Selon Broecking (2016, p. 51-58), elle constate un changement de 
paradigme dans les performances des musiciens sud-africains exilés à 
Zürich, dont les compositions personnelles et la façon d’interpréter les 
standards du jazz doivent beaucoup à l’art vocal et aux traditions religieuses 
de leur pays d’origine. 
30 Parmi eux, Remo Rau (1927-1987) développe une activité pédagogique et 
de conférencier ; Bruno Spoerri (1936) expérimente la musique 
électronique et ouvre un studio de production ; Hans Kennel (1939) 
35 
mouvement d’autonomisation n’est plus seulement esthétique, 
mais économique et social. S’il préfigure les évolutions à venir, il 
constitue encore un secret bien gardé. 
L’ESSOR DE LA POP 
Il manquait un plateau à la fois plus visible et plus spacieux pour 
dévoiler ce qui se tramait ainsi sous le couvercle du jazz. La 
création du Montreux Jazz Festival en 1967 vient combler cette 
lacune, même si l’association Circolo del Jazz s’était déjà lancée 
dans une aventure similaire à Lugano31. Alors que le festival de 
Lugano s’inscrivait encore dans le cadre non marchand typique 
des microcultures du jazz, le festival de Montreux connaît une 
transformation exemplaire, grâce à l’autonomie gagnée en termes 
de finances et de programmation musicale par son principal 
artisan Claude Nobs. Au départ, la programmation du festival 
repose pour l’essentiel sur un concours d’orchestres européens 
de jazz organisé par Radio-Lausanne en collaboration avec 
l’Union européenne de radiodiffusion. En 1972, le Montreux 
Jazz Festival est déjà devenu l’un des principaux rendez-vous des 
musiques populaires en Europe. Ce développement rapide est 
emblématique de la construction d’une culture pop au sens où 
l’entend Richard Mémeteau32. Il s’agit d’une liberté gagnée non 
●● 
participe à des projets de fusion avec le rock puis la musique traditionnelle 
suisse ; Beat Kennel (1945) fonde l’organisation Bazillus, un des piliers de la 
scène musicale zurichoise jusqu’en 2013 ; Irène Schweizer (1940) entame 
une pérégrination musicale qui lui ouvre la porte des foyers européens du 
free jazz. 
31 Avec deux ou trois soirées de concert au Kursaal de Lugano, le Festival 
Internazionale del Jazz di Lugano est le premier du genre en Suisse. 
Organisé sur une base bénévole de 1962 à 1969, il est lié à la scène italienne 
du jazz et reste peu connu au nord des Alpes. 
32 Mémeteau (2014, p. 17) : « C’est parce qu’on est capable de liberté avec 
sa culture initiale qu’on peut acquérir une aussi grande liberté avec la 
culture majoritaire. Cantonner à l’exotisme figé les différentes minorités, 
c’est leur dénier cette liberté première qui ouvre à une réappropriation 
36 
 
seulement dans l’interprétation des répertoires par les musiciens, 
mais aussi dans la conception des plateaux et de leur promotion. 
La transcription des performances musicales sur un support 
audio, puis audiovisuel, pensée dès le début comme une partie 
intégrante de la manifestation, représente ici un changement de 
paradigme. 
Le Montreux Jazz Festival résulte de la conjonction de 
plusieurs initiatives. Il y a au départ la volonté de l’Office du 
tourisme de Montreux, dirigé alors par Raymond Jaussi, de 
donner une envergure nouvelle à sa commune et à la région. La 
télévision et les radios de Suisse romande en sont les partenaires 
privilégiés, grâce au « Montreux Television Symposium and Rose 
d’Or », dont la première édition a lieu en 196133. Engagé dans ce 
cadre par l’Office du tourisme, Claude Nobs y conjugue sa 
passion pour les musiques populaires et son talent 
d’organisateur. Suite à la rencontre de Willy Leiser, animateur de 
l’émission « Au pays du blues et du gospel » à Radio-Lausanne, il 
met sur pied à partir de 1962 des concerts de blues, notamment 
au Pavillon du Montreux Palace ou au Lido du Casino de 
Montreux. 
Cette découverte de l’héritage musical afro-américain à travers 
la présence sur scène des musiciens de blues a joué un rôle 
essentiel. Alors que les premières éditions du festival se 
concentrent sur le jazz contemporain, les autres performances 
proposées durant l’année dans différentes salles de concert sont 
réunies sous l’appellation Super Pop depuis 1969, puis Super Pop 
Montreux à partir de 197234. Le concert donné par Led Zeppelin 
●● 
possible, et c’est leur dénier finalement le droit de redessiner les contours 
de cette même culture majoritaire. » 
33 Créée à l’initiative de Marcel Bezençon, directeur de Radio-Lausanne 
puis de la SSR et président de l’Union européenne de radio-télévision, la 
Rose d’Or est organisée à Montreux par la Télévision Suisse Romande 
jusqu’en 2004. 
34 Les concerts labellisés « Super Pop Montreux » ont parfois lieu dans de 
plus grandes salles de concert en Suisse, et sont organisés en collaboration 
avec l’agence de concert « Good News », créée en 1970 à Zürich. La 
37 
au Lido du Casino de Montreux le 7 mars 1970 représente ainsi 
un des moments charnières de l’essor de la pop, de par son écho 
médiatique et l’aura dont bénéficie déjà le groupe. Le répertoire 
de cette performance propose un mélange de standards du 
rhythm’n’blues et d’originaux laissant une place prépondérante 
aux improvisations jouées à haut volume (voir p. 46). 
Le plateau en demi-cercle légèrement surélevé du Lido, a 
fourni durant ces années un cadre idéal à la rencontre de 
musiciens aux esthétiques et aux horizons différents. Conçu dans 
le style Belle Époque en 1881, l’espace est luxueux dans sa 
configuration d’origine ; sans places assises, il se transforme en 
salle de concert d’une capacité de deux mille personnes. Son 
confort d’écoute est similaire à celui d’un grand casino, tout en 
garantissant une intimité propice à l’attention collective. C’est ici 
que se déroulent les premières éditions du Montreux Jazz 
Festival, ainsi que d’autres concerts, jusqu’à l’incendie qui éclate 
durant la performance de Frank Zappa le 6 décembre 1971. 
Ayant reçu carte blanche de son employeur dans son travail 
de construction de l’autonomie de la scène, Claude Nobs va 
constituer en quelques années un réseau unique en son genre 
soit, avec la Rose d’Or, les radios et télévisions suisses et 
européennes ; et en relation avec Willy Leiser, l’agence Lippmann 
+ Rau qui organise depuis 1961 l’American Folk Blues Festival 
dont elle enregistre et publie de nombreux concerts. De plus, 
suite à deux voyages en Italie en 1965 et 1966, des liens directs 
sont établis avec les principaux promoteurs et labels actifs dans 
le jazz, la soul et le rhythm’n’blues35. Ce réseau lui permet de 
●● 
programmation fait la part belle à la scène anglaise de la pop et du rock, 
selon le site www.montreuxmusic.com (consulté le 16 juin 2016). 
35  Nesuhi Ertegun, directeur du label Atlantic Records, George Wein, 
directeur du Newport Jazz Festival, ainsi que Bill Graham, manageur des 
salles de concert Fillmore East à New York et Fillmore West à San 
Francisco. À ceux-ci s’ajoute Norman Granz, directeur de Jazz at the 
Philharmonic, le principal impresario du jazz américain, qui s’était établi à 
Lugano en 1959. Dans ses mémoires (Nobs et Richardson, 2007), Claude 
38 
 
cibler une nouvelle frange du public tout en resserrant ses liens 
avec l’industrie du disque, qui connaît alors une phase accélérée 
d’intégration verticale. Claude Nobs devient ainsi en 1973 
directeur de la section suisse de Warner Elektra Asylum, le 
consortium qui occupe désormais une position dominante sur le 
marché mondial de la musique enregistrée36. 
Le début de la décennie 1970 marque ainsi la transition entre 
un secteur non marchand, tel que le festival était conçu à 
l’origine, et le nouveau marché mondial des musiques populaires 
dont la ville de Montreux devient un des points d’échange et de 
rencontre. Les concerts labellisés Super Pop Montreux représentent 
le pivot de cette transition, avec un impact durable sur la 
conception du festival en tant qu’événement. Dès 1972, année 
qui marque l’abandon du concours d’orchestres européens, le 
Montreux Jazz Festival met en scène les principaux artistes 
actualisant la tradition musicale afro-américaine au-delà de toute 
frontière stylistique37. 
LES MOUVEMENTS DE REAPPROPRIATION 
Des microcultures du jazz à l’essor de la pop, trois évolutions en 
apparence contradictoires contribuent à reconfigurer la scène des 
musiques populaires en Suisse. Dès la fin des années 1950, les 
●● 
Nobs rend hommage aux protagonistes de ce développement, et en 
particulier à Raymond Jaussi. 
36  Selon la biographie officielle de Caude Nobs sur le site 
www.claudenobsfondation.com (consulté le 14 juin 2016). La phase 
d’intégration verticale du marché du disque débute en 1968 déjà avec le 
rachat d’Atlantic Records par Warner Music. Selon Peterson et Berger 
(1975), les leaders du marché deviennent durant ces années des 
multinationales dans lesquelles la musique n’est qu’un secteur parmi 
d’autres, et qui produisent deux tiers des succès discographiques. 
37 Le terme « Jazz » disparaît de l’affiche en 1976 pour intégrer le logo 
officiel « Montreux Jazz ». Il sera réintégré en 1979, année à partir de 
laquelle l’appellation de la manifestation se stabilise en « Festival 
International de Jazz ». 
39 
rares musiciens de jazz qui souhaitent vivre de leur pratique 
musicale s’exilent sur d’autres scènes en Suisse ou en Europe. À 
partir de 1962, le mouvement « Beat » voit fleurir un nombre 
considérable de petits groupes qui s’emploient à relocaliser la 
scène en communiant avec leurs auditeurs au son d’instruments 
électriques. À la fin des années 1960, les musiciens de jazz 
fondent des écoles qui proposent une alternative dans la 
transmission. Quant au paysage médiatique, il est marqué par un 
important développement des télévisions et radios nationales, qui 
jouent un rôle prépondérant de quadrillage du territoire, et 
s’impliquent parfois – à l’exemple du Montreux Jazz Festival – 
dans l’émergence d’une nouvelle scène dont elles enregistrent les 
concerts. 
Les plateaux investis par le mouvement « Beat », qui traverse 
la Suisse d’ouest en est à partir de son foyer français, sont 
similaires à ceux des microcultures du jazz une décennie 
auparavant, soit des caves et des cafés, ainsi que parfois des 
centres de loisirs. Ainsi, le plateau mis en place à Zürich de 1965 
à 1967 au Café Pony de la Rämistrasse, ressemble à celui de 
l’Africana : un lieu sans alcool où le public est assis autour de 
musicien jouant de plain-pied. La différence réside toutefois dans 
la rapidité avec laquelle une partie de ces musiciens se 
professionnalisent. En quelques années s’établissent des 
promoteurs qui proposent des soirées de festival réunissant de 
nombreux groupes locaux et parfois étrangers38. La plupart des 
musiciens sont autodidactes ; ils apprennent en écoutant les 
nouveaux standards populaires de Bob Dylan, des Beatles et des 
autres artistes qui éclipsent, sur le marché du disque, les stars de 
l’après-guerre. Ces nouvelles étoiles du folk et de la pop ne 
jouant quasiment jamais en Suisse et leurs disques étant encore 
difficiles à obtenir, l’exercice du « covering » bat son plein. 
● 
38  Selon Mumenthaler (2001) et Helbling (2013), ces événements 
deviennent réguliers à Zürich à partir de la fin 1964, et certains jeunes 
musiciens abandonnent leur apprentissage pour s’établir comme 
professionnels.  
40 
 
L’attitude et le langage corporel priment au départ sur la 
musique. Les premiers à se démarquer sur ce plan sont « Les 
Aiglons », quintette d’adolescents lausannois dont la musique 
instrumentale et originale représente une des attractions à 
l’Exposition nationale de 1964 et du concours de la Rose d’Or la 
même année (Schlatter, 1984, p. 65-114). 
Dès 1967, la métamorphose du mouvement « Beat » en scène 
autonome et semi-professionnelle est achevée. Les étiquettes 
vont rapidement changer, et certains musiciens se démarquer par 
une approche plus expérimentale du répertoire39. Il s’agit d’un 
parcours comparable à celui vécu par certains musiciens de jazz, 
et une partie de ces deux scènes va d’ailleurs bientôt se 
rencontrer et échanger. Cette transition vers le rock et la pop 
dispose aussi d’un nouveau média, Pop – Die Zeitschrift für uns, le 
premier du genre en Suisse. La petite équipe rédactionnelle en 
charge de ce mensuel fait le pari que la musique écoutée par les 
jeunes représente plus qu’une mode passagère. Elle entreprend 
de la documenter en ciblant les performances musicales et les 
changements sociaux.40. 
Les quelques musiciens de jazz qui deviennent professionnels 
empruntent pour leur part des chemins différents durant la 
décennie 1960. Certains commencent à travailler dans d’autres 
disciplines – principalement le théâtre – ou trouvent des 
● 
39 Kurt « Düde » Dürst, le batteur du groupe de beat le plus connu en 
Suisse alémanique – Les Sauterelles – fonde en 1968 à Zürich le quintette 
Krokodil, dont le rock instrumental (considéré aujourd’hui comme 
pionnier du mouvement « Krautrock ») va figurer à l’affiche de Super Pop 
Montreux et des festivals qui se développent en Allemagne. 
40 Édité de mars 1966 à juin 1980 dans un format plutôt luxueux et financé 
par la publicité, le mensuel est un mélange entre Melody Maker et Salut les 
Copains. Dans son premier éditorial, le rédacteur en chef Jürg Marquard 
écrit ceci : « Voici POP, le mensuel que nous avons attendus si longtemps, 
le mensuel dans lequel les jeunes sont vraiment entre eux. […] Nous aussi 
sommes jeunes et partageons les mêmes intérêts et les mêmes soucis que 
vous. » (Traduction de l’allemand par l’auteur.) Disponible à la Bibliothèque 
Nationale suisse, cote Pq 11693 Res.  
41 
engagements dans les orchestres de divertissement des radios. 
D’autres s’établissent à l’étranger, comme le batteur Daniel 
Humair à Paris, ou mènent une vie itinérante qui concilie des 
périodes de travail alimentaire et d’autres consacrées aux 
tournées musicales. Leur recherche de nouveaux plateaux a pour 
point commun un affranchissement du répertoire traditionnel 
par des approches personnelles de la composition et de 
l’improvisation. Le mouvement du « free jazz » européen en 
représente l’aboutissement au plan musical à partir de 1966, avec 
une soif d’expérimentation qui, selon les contextes nationaux, 
doit plus au refus des frontières stylistiques qu’aux rébellions 
politiques41 . Souvent mis à mal par la critique, ces musiciens 
quittent les plateaux réservés au jazz et jouent le plus souvent 
dans de petits théâtres ou des festivals. 
Les premières écoles de jazz, dont les cursus encore peu 
formalisés reposent sur les modèles didactiques américains, 
proposent des lieux d’échange et de rencontre au moment précis 
où les microcultures du jazz sont en panne de lieux d’expression. 
Ainsi, la première du genre en Suisse investit des locaux dans un 
des centres de loisirs de la « COOP-Genossenschaft » 42 . La 
transmission orale y figure au premier plan, et le modèle bernois 
fera des émules dans la plupart des autres villes suisses au cours 
de la décennie 1970, cette alternative pédagogique remportant un 
succès croissant. L’autonomisation de la scène jazz est donc 
marquée par des processus d’individuation artistique et une forte 
diversification des activités. 
● 
41  Saladin (2012, p. 14) : « L’improvisation libre se révélant comme une 
pratique, certes dans l’esprit du temps, mais aussi où l’appartenance à une 
catégorie ou à un genre musical spécifiques semblait moins importante que 
l’investigation sonore promise. »  
42 Créée en 1967, la Swiss Jazz School devient autonome en 1972. Elle 
intègre la Haute École des Arts de Berne en 2003. Selon le site www.sjs.ch 
(consulté le 28 mai 2017).  
42 
 
VERS L’INSUBORDINATION 
La scène musicale populaire ne s’est pas transformée de fond en 
comble durant la période évoquée, car la majorité de ses espaces 
sont restés tributaires du marché de l’hôtellerie et de la 
restauration. Le principal changement me semble concerner 
l’autonomie des personnes en charge des plateaux, qui étaient 
souvent des musiciens cumulant les fonctions de concertiste et 
d’organisateur. Ce sont eux qui se constituent durant les années 
1970 en associations ou en coopératives, inaugurant des formats 
qui ont fini par devenir majoritaires dans le paysage culturel 
contemporain. La création le 1er février 1975 à Zürich de la 
Coopérative de Musiciens Suisses en est le premier exemple sur un 
plan national43 ; elle fait suite à une floraison d’initiatives locales 
qui militent toutes pour l’accès à de nouveaux plateaux de 
concert et locaux de répétition. 
Il est frappant de constater que les plateaux qui ont gagné en 
audience et en visibilité étaient tous situés à la périphérie des 
centres urbains. Ce qui se joua à Montreux n’a pas eu lieu – ou 
plus tard seulement à Genève, à Lausanne ou à Zürich. Dans un 
pays encore fortement cloisonné socialement et conservateur sur 
un plan culturel et politique, les autorités des villes ont résisté à 
l’émergence de musiques qui, à leurs yeux, véhiculaient un « péril 
jeune ». S’il existait une critique spécialisée en jazz dès la fin des 
années 1950, les concerts de beat, de pop et de rock organisés 
quelques années plus tard dans les centres urbains n’ont intéressé 
les médias qu’au travers des débordements, réels ou supposés, 
d’un jeune public44. 
● 
43 La CMS est en fait une association qui réunit plusieurs centaines de 
musiciens et d’organisations issus du jazz, du rock et de la musique 
contemporaine autour d’un programme d’autonomisation de la scène et de 
reconnaissance des musiques d’improvisation dans la pédagogie musicale. 
44 Ceci est particulièrement sensible lors du concert des Rolling Stones le 14 
avril 1967 au Hallenstadion de Zürich, puis dans la même salle lors du 
festival « Monsterkonzert » organisé les 30 et 31 mai 1968, avec notamment 
Jimi Hendrix à l’affiche. Dans son compte-rendu du 4 juin 1968, la Neue 
43 
Les mouvements de réappropriation continuent donc durant 
la décennie 1970, et se soldent par une floraison de festivals de 
jazz, de folk et de rock organisés le plus souvent à l’improviste. 
Ils ont lieu dans de petites villes ou des villages45. Ces endroits 
n’étaient pas forcément moins conservateurs que les centres 
urbains, mais l’organisation d’une manifestation s’y heurtait à une 
résistance moins affirmée face à ce qui était encore considéré 
comme une contre-culture par les autorités. Les villes, pour leur 
part, n’offraient pas encore de marge suffisante en termes 
d’autonomie. Et c’est précisément dans la revendication de 
scènes autonomes, ainsi que le rejet des logiques marchandes 
appliquées à la culture, que la rébellion d’une nouvelle génération 
y éclate dès 1980, à Zürich, à Berne et à Lausanne 
principalement, marquant à la fois un aboutissement et le début 
d’un nouveau cycle46. 
●● 
Zürcher Zeitung détaille les événements qui ont suivi les concerts du 31 
mai. L’article se conclut ainsi : « On peut se demander pourquoi la police a 
été si réservée dans son utilisation des canons à eau. […] En effet, ceux-ci 
permettent d’abord d’éviter tout contact entre policiers et manifestants, ce 
qui prévient d’éventuels actes de revanche. Ensuite, l’eau a l’avantage de 
refroidir les esprits : lorsque vos pantalons sont mouillés, vous n’avez plus 
de plaisir à vandaliser les rues de la ville pendant le reste de la nuit. » 
(Traduction de l’allemand par l’auteur.) 
45 Liste non exhaustive : à Zoug, un premier grand festival open air en août 
1970 ; à Sapinhaut sur la commune de Saxon (VS), un festival folk de 1971 
à 1976 ; à Augst (AG) de 1973 à 1986 un festival de jazz, de rock et de pop 
qui accueille un tremplin national ; à Mettlen (GL), un festival open air de 
1975 à 1977 ; à Renens (VD), un festival de jazz en septembre 1975 ; la 
même année à Willisau, la première édition du festival international de jazz ; 
à Nyon en 1976 un festival de jazz (qui dure jusqu’en 1984) et la première 
édition du « First Folk Festival » qui allait devenir « Nyon Folk Festival » 
puis « Paléo ». 
46 Voir chapitre suivant de Pierre Raboud. 
44 
 
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(Éd.), Rock- und Popmusik. Handbuch der Musik im 20 : Jahrhundert, 
Laaber : Laaber, pp. 13-69. 
45 
PERFORMANCES MUSICALES 
1. BAL DU HOT CLUB DE NEUCHÂTEL, 28 
NOVEMBRE 1952 
Répertoire de James Archey & His Riverboat Five : 
Clarinet Marmelade (Shield, Larry & Ragas, Henry) ; Sister Kate (Wil-
liams, Clarence & Piron, Armand) ; Honeysuckle Rose (Waller, Thomas 
& Razaf, Andy) ; Beal Street Blues (Handy, William Christopher) ; Jada 
(Carleton, Bob) ; Muskrat Ramble (Ory, Kid) ; Dippermouth Blues 
(Oliver, Joseph) ; Basin Street Blues (Williams, Spencer) ; Fidgety Feet 
(LaRocca, Nick & Shields, Larry) ; The Mooche (Ellington Edward 
Kennedy & Mills, Irving) ; Caravan (Ellington Edward Kennedy, Tizol, 
Juan & Mills, Irving) ; 12th Street Rag (Bowman, Euday L.) ; Bugle Call 
Rag (Pettis, Jack, Meyers, Billy & Schoebel, Elmer) ; Benny’s Blues 
(Goodman, Benjamin David) ; China Boy (Boutelje, Phil & Winfree, 
Dick) ; St. James Infirmary (Trad.) ; The World Is Waiting For The 
Sunrise (Lockhart, Gene) ; Ain’t Misbehavin’ (Waller, Thomas, Brooks, 
Harry & Razaf, Andy) ; King Porter Stomp (LaMothe, Ferdinand Jo-
seph, alias « Jelly Roll Morton ») ; Limehouse Blues (Braham, Philip & 
Furber, Douglas) ; Heebie Jeebie (Atkins, Boyd) ; Tiger Rag (Original 
Dixieland Jazz Band). 
2. CAFÉ AFRICANA (NON DATÉ, PROBABLEMENT 
PRINTEMPS 1963) 
Répertoire de Dollar Brand Trio : 
Honey (Brand, Adolph Johannes) ; The trial (Brand, Adolph Johan-
nes) ; Vary OO Vum (Brand, Adolph Johannes) ; Hymn – Work, for 
the night is coming (Mason, Lowell & Walker Coghill, Anna Louisa) ; 
We see (Monk, Thelonious) ; I won’t cry anymore (Wise, Fred & 
Frisch, Al) ; A night in Tunisia (Gillespie, John Birks) ; Always true to 
you in my fashion (Porter, Cole) ; The touch of your lips (Noble, Ray) ; 
Blue Monk (Monk, Thelonious) ; Brilliant Corners (Monk, Theloni-
ous) ; All alone (Berlin, Irving) ; Waya Wa Egoli (Brand, Adolph Jo-
hannes). 
46 
 
3. CASINO DE MONTREUX, 7 MARS 1970 
Répertoire de Led Zeppelin : 
We’re Gonna Groove (King, Ben E. & Bethea, James) ; I Can’t Quit 
You Baby (Dixon, Willie) ; Dazed and Confused (Page, Jimmy) ; 
Heartbreaker (Led Zeppelin) ; White Summer (Page, Jimmy) ; Black 
Mountainside (46llés.) ; Since I’ve Been Loving You (Blunstone, Colin 
Edward) ; Thank You (Page, Jimmy & Plant, Robert) ; What Is and 
What Should Never Be (Page, Jimmy & Plant, Robert) ; Moby Dick 
(Page, Jimmy, Jones, John Paul & Bonham, John) ; How Many More 
Times (Page, Jimmy, Jones, John Paul & Bonham, John) ; Medley 
46llés. Boogie Chillen’, Bottle Up ‘n Go, My Baby Left Me, Jenny Jenny 
& Lemon Song – tous standards du rhythm’n’blues) ; Whole Lotta 
Love (Led Zeppelin & Dixon, Willie) ; Communication Breakdown 
(Page, Jimmy, Jones, John Paul & Bonham, John). 
 
  47 
L’HIVER DES MUSIQUES JEUNES : 
LA SUISSE AVANT LA POP (1960-1983) 
par Pierre Raboud 
Lorsque les musiques jeunes ou actuelles suisses sont abordées 
dans le discours médiatique ou institutionnel, c’est souvent pour 
en vanter la richesse, l’hétérogénéité ou l’inventivité. L’Office 
fédéral de la culture a ainsi décidé de donner le premier Grand 
prix suisse de musique à Franz Treichler des Young Gods en 
2014, puis de décerner ce prix à Sophie Hunger en 2016 pour la 
troisième édition, soulignant à la fois la qualité de ce type de 
productions musicales en Suisse et la volonté institutionnelle de 
les mettre en valeur. Cette richesse peut d’autre part être 
observée dans le nombre élevé de salles et de festivals ; l’annuaire 
des clubs constitué par l’association Petzi, qui fédère les clubs de 
musiques actuelles, comptabilise ainsi huitante salles présentes en 
Suisse en 2010 : le nombre total est plus important, les clubs non 
membres de l’association, comme des structures commerciales 
ou des associations de petite taille, en étant exclus. La fréquence 
des pratiques populaires d’instrument de musique constitue 
également un élément remarquable (OFS, 2011). On peut enfin 
mentionner la votation de 2012 en faveur de la formation 
musicale acceptée à 72,7%47.  
Mais cette médiatisation fréquente et cette promotion 
institutionnelle de la situation actuelle méconnaissent souvent le 
développement initial de ces pratiques musicales en Suisse. En 
effet, le caractère étonnant de la profusion actuelle, plutôt que 
● 
47 https://www.admin.ch/ch/f/pore/va/20120923/, (consulté le 23 août 
2017). 
  48 
d’être relatif à la taille réduite du pays souvent mentionnée, se 
situe davantage dans un ordre chronologique. En effet, avant 
l’ère de la pop, les musiques jeunes vivaient un hiver rude. Cet 
article souhaite ainsi offrir un regard historique sur le 
développement des musiques jeunes en Suisse. Il montre, dans 
un premier temps, comment les premières scènes ont d’abord 
fait face à une situation qui leur était largement défavorable. Ce 
type de pratiques musicales (qu’il s’agisse de monter un groupe 
ou de se rendre à un concert) a dû en effet commencer par 
affronter de nombreux obstacles au sein de la société helvétique. 
Seront évoquées ensuite les stratégies mises en place pour tenter 
de faire évoluer cette situation qui ont rendu possible la 
transformation effective du décor des scènes musicales jeunes en 
Suisse à partir de la moitié des années 1980, désigné ici comme le 
début de l’ère de la pop. Nous reviendrons au terme de l’article 
sur ce que nous entendons ici à travers la notion de « pop ». 
Ce questionnement se situe dans une perspective de 
recherche historique et fait appel à un matériau empirique 
protéiforme, se basant sur des archives concernant aussi bien 
l’organisation de l’espace urbain (nombre et nature des espaces 
dévolus aux musiques jeunes), que celles relatives aux modes de 
production (labels actifs dans la distribution et l’enregistrement), 
tout en faisant appel à des témoignages présents dans les 
différents fanzines ou recueils. Ces dernières données permettent 
un accès au ressenti des différents acteurs des musiques jeunes 
par rapport à leurs pratiques durant cette période. À partir de ces 
observations, nous montrerons comment musiciens et auditeurs 
tentent de développer leurs pratiques dans les conditions propres 
à la situation helvétique, et dégagerons les pistes interprétatives 
qui peuvent permettre de comprendre les raisons historiques de 
cette spécificité du développement des musiques jeunes en 
Suisse. En termes de période, cet article convoque des éléments 
allant des prémices de ces pratiques musicales jusqu’à leur 
expansion, mais se concentre essentiellement sur les années 
1977-82, qui constituent, comme nous le verrons, des années 
charnières tant au niveau du développement des pratiques que 
des structures liées à cette scène. 
  49 
LES MUSIQUES JEUNES, UNE SCENE A PART ? 
Avant d’aborder ces aspects, il est nécessaire de préciser deux 
notions indispensables pour comprendre historiquement les 
pratiques musicales et leur mode d’organisation : scène et cultures 
jeunes. Le terme de scène a été conceptualisé par le spécialiste des 
médias Will Straw pour désigner l’espace social dans lequel se 
réunissent les différents acteurs d’un même mouvement culturel : 
« Les scènes émergent du fait du surplus de sociabilité qui 
accompagne la poursuite d’intérêts particuliers, ou qui nourrit 
l’innovation et l’expérimentation au sein de la vie culturelle des 
villes48 » (Straw, 2004, p. 412). Il s’agit d’un regroupement social 
d’acteurs autour d’activités culturelles, en fonction de différents 
aspects comme la localisation, le type de productions culturelles 
ou encore les activités sociales pratiquées. La scène ne constitue 
pas un espace aux frontières fermées, ses délimitations sont 
mouvantes et les individus peuvent y rentrer ou en ressortir sans 
difficulté. La scène, pour exister, a besoin d’un territoire social 
dans lequel s’exprimer. Elle représente l’unité qui réunit 
différentes personnes et se concrétise dans des rites (concerts 
joués et vécus, rencontres, etc.) et des infrastructures (lieux, label 
et imprimés). 
Pour désigner le type de mouvement culturel qui sera analysé 
dans cet article, nous utilisons l’expression de cultures jeunes, ceci à 
la fois pour inscrire ces pratiques musicales dans des processus 
culturels transnationaux historiquement situés, et préserver leur 
caractère hétérogène. Les cultures jeunes se sont développées 
dans l’Après-Seconde Guerre mondiale dans une période qui se 
caractérise par une indépendance plus forte et de plus longue 
durée attribuée aux individus jeunes, que lors des époques 
précédentes. En effet, du fait notamment du développement des 
médias, de l’industrie culturelle et des différents besoins de 
personnel formé, l’éducation connut une croissance importante, 
● 
48  « Scenes emerge from the excesses of sociability that surround the 
pursuit of interests, or which fuel ongoing innovation and experimentation 
within the cultural life of cities. » (Traduction de l’auteur.) 
  50 
rendue également possible par la croissance économique 
(Siegfried, 2007, p. 55-61). Le pouvoir d’achat de cette catégorie 
augmente également de façon prononcée avec la généralisation 
de la pratique de l’argent de poche. Si la question de la qualité 
des métiers qui sont offerts aux jeunes à ce moment-là fut l’objet 
de critiques, le plein emploi garantissait une situation de sécurité 
financière pour la majorité (Gillis, 1981, p. 204).  
Ces éléments font de la jeunesse un groupe indépendant et 
spécifique dans l’Après Seconde Guerre mondiale. Par la culture 
jeune, il s’agit de plus de se distinguer de la société adulte. Cette 
culture représente un nouveau marché de plus en plus important 
et influent, autour de vêtements, de disques ou d’autres formes 
de loisirs, dont l’impact sur la société est majeur (Sirinelli, 2008, 
p. 5). L’indépendance et le nouveau pouvoir financier de cette 
jeunesse impliquent à la fois une capacité à acheter des produits 
qui lui correspondent et, en retour, que certaines entreprises 
tentent de faire du profit en se profilant sur ce nouveau marché. 
Cette importance de la dimension culturelle au sein du marché 
destiné aux jeunes s’explique d’autre part par le fort 
développement de l’industrie des loisirs (Clarke, Hall, et al., 1976, 
p. 17). À noter qu’au sein de cette culture jeune, la musique 
occupe le premier rôle. La jeunesse des années 60-70 commence 
à se définir principalement à travers la musique, et ceci dès le 
rock’n’roll (Siegdried, 2007, p. 109). Ainsi c’est par ce type de 
consommation que la jeunesse diffère des personnes plus âgées. 
En 1976, écouter de la musique était classé comme première 
activité de loisir par 70% des jeunes de 17 à 23 ans en Italie, Italie 
et Italie, bien avant la télévision et les sorties (Wicke, 2007, p. 
115). Ces éléments se retrouvent dans les différents pays 
occidentaux et également en Suisse, qui Italie elle aussi une 
augmentation de l’éducation secondaire et est touchée par ces 
mouvements et modes culturels qui se développent au niveau 
transnational, le nombre d’échanges de produits culturels 
croissant chaque année (Tournès, 2008). 
Au-delà de ces développements internationaux et historiques, 
l’expression de « musiques jeunes » s’avère pertinente pour 
  51 
aborder les scènes en question en Suisse. Dans ce pays, les 
différents genres musicaux pouvant être désignés par cette 
expression (rock, jazz, reggae, etc.) collaborent régulièrement, 
sans que les genres constituent des frontières strictes. Les 
frontières entre styles sont parfois ténues en Suisse dans les 
années 60-90, où les différentes musiques jeunes (rock, jazz, 
reggae puis punk et électro) cohabitent. Cette expression permet 
donc d’aborder ces pratiques en respectant ce caractère 
hétérogène, qui est particulièrement fort dans le cas helvétique. 
C’est peut-être l’aspect restreint en termes de taille de cette scène 
qui permet en partie d’expliquer cette spécificité. 
UN HIVER FROID COMME LA BANQUISE 
Si les musiques jeunes apparaissent bien en Suisse dès les années 
1960, leur public reste souvent relativement restreint et elles ne 
débouchent pas sur la mise en place d’infrastructure. On peut 
ainsi mentionner des premières formations au succès précoce 
comme les Faux Frères ou les Aiglons, ces derniers groupes 
s’inscrivant dans le boom de la culture yéyé, se produisant dans 
l’émission phare du rock francophone « Age tendre et tête de 
bois ». Dans leur sillage, plusieurs groupes se forment, tandis que 
des premiers lieux ou festivals se mettent en place (Horner, 2013, 
voir également chapitre de Steulet dans cet ouvrage). La Suisse 
participe également à la décennie contre-culturelle avec des 
mobilisations diverses au sein de la jeunesse (Schaufelbühl, 
2009). Si la culture y joue un rôle important, il est à noter qu’en 
Suisse on observe peu de convergences entre ces contestations 
des années 1960 et le domaine musical (Horner, 2013, p. 28), le 
théâtre jouant davantage le rôle de pôle de création contestataire, 
avec notamment la venue du Living Theatre à Genève à la fin 
des années 1960. 
Malgré ces différents éléments, tant les relatifs succès 
commerciaux que la présence d’un milieu contestataire créatif, 
aucune infrastructure spécifique (label ou lieu de concert) n’est 
développée en Suisse pendant ces décennies, les différents 
  52 
groupes devant se contenter de lieux éphémères et destinés 
prioritairement à d’autres usages, comme des cafés ou de salles 
de fête. Le développement de ces marchés ne débouche alors 
que sur des grands complexes destinés à accueillir les tournées de 
stars internationales. Les festivals, tel que Paléo, apparaissent 
bien, mais restent des initiatives, relativement petites à l’époque, 
ne durant que quelques jours et n’offrant donc pas la structure 
stable nécessaire pour construire une scène sur la durée. Si on 
parcourt l’annuaire des salles de concert constitué par 
l’association Petzi, on observe que parmi les 80 salles présentes 
en Suisse, seuls trois existaient avant 1980. Marc Ridet, directeur 
de la Fondation romande pour la chanson et les musiques 
actuelles (FCMA), explique ainsi qu’« Il n’y avait rien. Par 
exemple, dans les années 60, les Aiglons devaient aller à Paris 
s’ils voulaient jouer »49. Dans leur préface à Heute und Danach, 
livre revenant sur les scènes musicales underground en Suisse 
dans les années 80, Lurker Grand et André P. Tschan, tous deux 
acteurs de la scène punk zurichoise de l’époque, abondent dans 
le même sens : « la culture jeune, on ne savait pas ce que c’était, et 
on pouvait compter les espaces de liberté dont disposaient les 
jeunes sur les doigts d’une seule main. » (Grand et Tschan, 2011, 
p. 5) 
Même en se concentrant sur les plus grandes villes de Suisse, 
les infrastructures destinées aux cultures jeunes apparaissent 
comme dérisoires. La ville de Zürich possède bien un club 
destiné aux musiques jeunes, le club Hey, mais ce dernier est une 
discothèque et des concerts ne peuvent y être organisés que 
rarement. Le Drahtschmidli permet également l’organisation de 
concerts ponctuels ; un par mois est ainsi organisé par Low 
Budget, mais il ferme en septembre 1980 50 . Les plus grands 
événements, comme les festivals, sont dans un premier temps 
● 
49  Rapport des Assises des musiques actuelles, p.11, disponible en ligne : 
http://www.fcma.ch/rapport-des-assises-des-musiques-actuelles, (consulté 
le 14 février 2017). 
50 Swisswave, 2, 1980, SOZA, Fonds Dokumentation 80er Jugendunruhen 
Deutschschweiz, 201.209.4 Diverses Zürich 1980-1992. 
  53 
acceptés au Volkhaus avant de se voir eux aussi refusés. Genève 
se démarque par une plus grande ouverture à ce type de culture 
et de concerts, notamment par une plus grande tolérance vis-à-
vis de l’utilisation des salles communales et de l’existence des 
squats. Le Conseiller d’État Olivier Second y promeut une 
politique reconnaissant la nécessité de comprendre les demandes 
des jeunes, de leur faire confiance et de leur donner des moyens 
(Togni, 2013, p. 21). Ainsi dès 1977, la ville met à disposition le 
Bois de la Bâtie pour la tenue d’un festival contre-culturel ; puis 
en 1979, l’affectation de la nouvelle salle du Palladium s’ouvre à 
la tenue de concerts de rock sous ses diverses formes 
d’expression. Une salle ouverte aux cultures jeunes a même déjà 
ouvert en 1977, le New Morning, alors que des concerts sont 
également organisés au Backstage. C’est également le cas dans de 
nombreux centres de loisirs comme ceux de Carouge et du 
Grand-Saconnex qui proposent chacun une dizaine de concerts 
rocks par année (Buchs, Bonnet, et al., 1998, p. 27, 31 et 39). La 
situation s’avère plus difficile dans les villes de Berne et de 
Lausanne où la vie nocturne reste très peu développée. À Berne, 
un des rares lieux, Spex, ferme en 1980, le Gaskessel restant alors 
le dernier lieu ouvert aux concerts de musiques jeunes. Pire à 
Lausanne, les différents établissements adoptent même une 
politique restrictive envers les jeunes. Ces derniers se voient ainsi 
interdits d’entrée dans les quelques établissements publics 
existants, les tenanciers décidant d’exclure les individus à l’allure 
inconvenable51. La ville de Bâle ne possède, elle non plus, aucune 
salle de musiques destinées aux musiques jeunes à ce moment-là. 
Les différents recueils de témoignages de jeunes actifs dans 
les scènes musicales viennent confirmer cette caractérisation des 
villes suisses comme orphelines de tout lieu d’expression pour les 
scènes musicales jeunes. Michael Lütscher, protagoniste de la 
scène punk, témoigne de ce climat pour la ville de Zürich : 
« Comparé à aujourd’hui en effet, il ne se passait « rien » dans la 
plus grande ville suisse vers 1979/80 – pas davantage que dans 
● 
51 Secousse sismique, 1, Archives de la ville de Lausanne, Fonds P 596. 
  54 
les autres petites villes du pays. […] Fermeture à minuit, et si 
possible, silence à partir de 20h » (Grand et Tschan, 2006, p. 
226). Cette caractérisation de villes suisses comme dénuées de 
toute activité, où règnent ordre et propreté, se retrouve 
également dans les différentes villes. À Zürich, Berne, Bâle et 
Lausanne, on retrouve les mêmes critiques d’une ville morte. 
Ainsi Pierre Wyrsch du groupe punk lausannois Sub-Rescue 
témoigne en parlant d’un sentiment d’étouffement (cité dans 
Grand et Tschan, 2011, p. 252).  
 La scène des musiques jeunes suisse se trouve donc rejetée à 
la marge de l’espace social. Jusqu’à la fin des années 1970, ces 
musiques ne possèdent, à quelques rares exceptions près, aucune 
structure propre, ni label, ni lieux, et ce alors même que les 
pratiques existent bel et bien.  
Pour comprendre historiquement cette situation des villes 
suisses qui fait que quatre sur cinq des plus grandes du pays ne 
tolèrent quasiment aucune expression des cultures jeunes, il faut 
saisir le très fort conservatisme culturel qui marque alors le pays. 
La Suisse reste en effet marquée par la politique dite de Défense 
Spirituelle Nationale mise en place par les autorités helvétiques peu 
avant la Seconde Guerre mondiale, officiellement pour se 
protéger des influences adverses et notamment celle des régimes 
nazi et fasciste qui se trouvent aux frontières de la Suisse. 
Concrètement, cette politique aura surtout pour fonction de 
renforcer le consensus national, à travers une forte censure et 
une criminalisation des opposants (Jost, 1983). La Suisse ne 
connaît pas alors de renouvèlement des élites dans l’après-guerre 
comparable à ce qui se passe dans les pays qui lui sont voisins 
(Batou, 2009). L’absence de remise en cause du rôle de la Suisse 
durant la Seconde Guerre mondiale, que ce soit par rapport à ses 
relations aux nations fascistes et nazies ou à sa politique envers 
les réfugiés juifs, explique cette absence de renouvèlement des 
  55 
élites. Il faudra en effet attendre les rapports Bergier52 à la fin des 
années 1990 pour qu’un débat d’ampleur sur ces enjeux soit 
diffusé en Suisse. En 1980, cette situation a certes évolué depuis 
la fin de la guerre, mais les élites restent néanmoins 
structurellement proches de l’armée, 41,5% des parlementaires 
étant des officiers (Mach, David, et al., 2011, p. 84). 
Ce conservatisme politique se traduit par une politique 
culturelle restrictive. On peut citer comme exemple l’interdiction 
de diffusion prononcée par les autorités fédérales envers le film 
« Les sentiers de la gloire » de Stanley Kubrik en 1957 (Buclin, 
2014). L’absence d’infrastructure pour les musiques jeunes 
s’intègre ainsi à une politique conservatrice. Pro Helvetia, la 
principale fondation culturelle au niveau national, ignore alors les 
cultures actuelles, les musiciens membres de son comité étant 
tous actifs dans la musique classique jusque dans les années 1980 
(Milani, 2010, p. 64). 
SUEURS DU CHANGEMENT 
Cet hiver est d’autant plus dur à vivre que les bourgeons sont 
déjà là et commencent même à fleurir : des pratiques musicales 
jeunes se mettent en place, mais l’infrastructure sociale est 
insuffisante. Cette tension entre les pratiques et leurs besoins 
s’intensifie avec la fin des années 1970, qui avec le punk et sa 
logique du Do-it-yourself (fais-le toi-même) enjoignant chacun à 
monter son groupe et sa propre structure de production et de 
réception musicale, voit les pratiques musicales croitre autant 
quantitativement (on récence 50 formations pour le seul punk 
entre 1977 et 1982, voir Grand et Tschan, 2006) que 
qualitativement avec la mise en place de structures 
indépendantes. Sont ainsi montés des labels Another Swiss 
Label, Sunrise, Off Course, Periphery Perfume à Zürich, Punk 
● 
52 Commission indépendante d’experts Suisse - Seconde Guerre mondiale 
(2002), La Suisse, le national-socialisme et la Seconde Guerre mondiale, Rapport 
final, Zürich : Pendo. 
  56 
Rules Clan à Berne, et Zaki Records à Genève ; ainsi que des 
fanzines parmi lesquels Subito, Drahtzieher, Punk Rules à Berne, No 
Fun, Eisbrecher, Funzine, Kaktus, Swisswave, Intim Spray, Pin-Up, 
Soilant à Zürich, Genève possédant des titres plus précoces avec 
Les lolos de lolas, Genève Rock 78 et Super Pas Cool. 
Le paradoxe entre pratiques musicales en place et 
infrastructures à disposition est le signe que la situation des 
grandes villes suisses au début des années 80 est dans un besoin 
de changement de plus en plus urgent. Ce changement passe par 
la solution de l’autogestion, les scènes musicales jeunes décidant 
de développer leurs propres structures. Les titres cités ci-dessus 
concrétisent cette volonté autant dans la volonté de produire de 
la musique que de la médiatiser. Néanmoins, la question de la 
tenue des concerts reste plus problématique et son autogestion 
ne permet pas de régler sa situation spécifique. Les concerts hors 
des structures officielles sont régulièrement réprimés, ce qui 
continue de confiner les lieux de concerts à des structures 
éphémères ou à l’insertion dans un endroit destiné à d’autres 
usages. Nous avons vu de plus que ces difficultés, plutôt que de 
s’estomper, empirent en 1980 avec la fermeture de certaines 
salles et des restrictions supplémentaires concernant l’usage de 
certains lieux. 
Au-delà de l’autogestion, l’autre stratégie mise en place par ces 
scènes pour obtenir des lieux pour les cultures jeunes sera le 
conflit. Ainsi le 30 mai 1980, alors que la municipalité de Zürich 
vient d’octroyer un crédit de 60 millions de francs suisses à 
l’opéra de la ville, des milliers de jeunes vont se réunir devant ce 
symbole de la culture bourgeoise pour manifester contre cette 
société conservatrice et l’absence de tout financement pour des 
lieux destinés aux cultures jeunes. Ce rassemblement débouchera 
sur un affrontement avec la police. La ville de Zürich sera 
marquée par de nombreuses émeutes réunissant plusieurs milliers 
de personnes tout au long de l’année. Ce sera également le cas, 
de façon moins prononcée, à Lausanne, Berne et Bâle (Heinz, 
2001). Le lien direct entre l’absence de lieux pour que les scènes 
musicales puissent s’exprimer et les affrontements entre jeunes et 
  57 
autorités se confirme avec le cas de Genève. Cette dernière 
représente en effet la seule des grandes villes de Suisse à avoir 
toléré et accompagné le développement des scènes musicales. Et 
ce sera la seule à être épargnée par cette vague de manifestations 
(Buchs, Bonnet, et al., 1988, p. 33).  
Hormis Genève, ces différentes mobilisations de jeunes vont 
pointer justement l’absence de lieu pour que les scènes musicales 
puissent se développer. Ils le feront notamment en se constituant 
en associations dont le nom même dit le fort lien entre culture et 
protestation : Rock als Revolte (le rock comme révolte) à Zürich, 
Kultur Guerrila Bern (KGB) à Berne et Lozane Bouge à 
Lausanne. Ces différents mouvements dans leur globalité sont 
marqués par une forte dimension culturelle. À Zürich, dans le 
numéro 2 du fanzine Swisswave, un interview de l’organisateur de 
concert Rolf Etter souligne cet aspect : « Die ganze Bewegung 
kommt eigentlich von der kulturellen Seite her, dass die 
Jügendlichen einfach kein Räume für ihre Konzerte haben53 ». 
Dans les quatre villes, on va retrouver la même exigence d’un 
espace autonome. Parmi les revendications de Lozane Bouge se 
trouvent par ailleurs des enjeux directement liés aux pratiques 
musicales comme l’accès libre à tous les établissements ; la 
suppression des patentes pour les musiciens de rue54. Les scènes 
des musiques jeunes entrent donc dans un processus conflictuel 
dont un des buts est la conquête de lieux pour pouvoir se 
produire. Cette conquête passera notamment par des 
occupations illégales de lieux avec les squats et la mise en en 
place de centres autonomes, dans lesquels se produiront de 
nombreux groupes de rock, de punk ou de reggae. Des centres 
autonomes voient ainsi le jour à Lausanne, à Berne et à Zürich 
avec la Rote Fabrik ou encore la Kaserne à Bâle, tous nés autour 
de 1980.  
● 
53 « Le mouvement dans son entier a des origines culturelles, étant donné 
que les jeunes n’ont tout simplement pas de lieu pour leurs concerts. » 
Sozialarchiv, Zürich, Dokumentation 80er Jugendunruhen 201.209. 4 
Diverses Zürich 1980-1992 
54 Secousse sismique, 1, Archives de la ville de Lausanne, Fonds P 596 
  58 
Le lien entre ces manifestations et la scène des musiques 
jeunes peut se lire dans l’âge des individus qui participent à ces 
événements : les données concernant les mobilisations 
zurichoises, recueillies auprès de 754 personnes, indiquent que 
24% des participants ont moins de 18 ans, 21% entre 18 et 19 
ans, 32% entre 20 et 25 ans, et seuls 23% ont plus de 25 ans 
(Kriesi, 1984). Pour la ville de Lausanne, la surveillance et le 
fichage policiers fournissent des chiffres qui confirment cette 
tendance. Les archives de la police de Lausanne montrent, dans 
les statistiques sur 326 personnes arrêtées, une forte majorité de 
jeunes (44% ont 20 ans ou moins, 38.35% entre 20 et 25)55.  
LA POP OU LE PRINTEMPS DE LA RECONNAISSANCE 
ET DE LA RECUPERATION 
Après cette phase chaude de conflit, les scènes musicales vont 
finalement obtenir des lieux, et leurs pratiques vont être 
reconnues comme légitimes. Ceci va déboucher sur la mise en 
place d’infrastructures qui leur sont destinées spécifiquement et 
qui jouissent, au moins en partie, du soutien des institutions 
locales. Les salles citées ci-dessus en sont un exemple. Ce sera 
également le cas plus tard avec l’Usine à Genève et Fri-son à 
Fribourg en 1983 puis la Dolce Vita à Lausanne en 1985. Ces 
différentes ouvertures représentent des politiques alors inédites 
en Suisse, et vont s’étendre rapidement à tout le pays, de 
nombreuses villes plus petites reproduisant le même type 
d’initiative. Ces lieux à disposition constituent un changement 
déterminant pour les pratiques des musiques jeunes, qui 
possèdent désormais leurs structures propres pour les concerts et 
lieux de répétition. Au-delà des questions d’infrastructures, il 
s’agit d’un tournant politique plus large. Ainsi en 1984, 
emboitant le pas aux autres villes de Suisse, Zürich va instaurer 
un Popkredit visant à aider financièrement la production de 
disques et l’organisation de concerts (Grand et Tschan, 2011, p. 
● 
55 Archives de la ville de Lausanne, C1 Corps de police, 7234 
  59 
28). C’est cette dernière politique qui donne son titre au présent 
article. Le milieu des années 1980 constitue en ce sens 
l’avènement de la pop suisse, comprise ici comme la période où 
les pratiques musicales jeunes se voient enfin reconnues et se 
retrouvent intégrées au sein de politiques gouvernementales. Les 
autorités, après avoir répondu dans un premier temps 
uniquement par la répression, vont petit à petit modifier leur 
politique culturelle. Ce changement de stratégie étatique se lit, 
pour le cas de la ville de Zürich, dans un rapport intitulé 
Possibilités et limite d’une politique cantonale de la jeunesse56. Ce rapport 
avance une vision dépolitisée des mobilisations de jeunes et des 
scènes musicales qui la composent. Dans une comparaison avec 
68, il y est affirmé ainsi : « Dans les mouvements jeunes actuels, 
un tel idéalisme politique est difficilement discernable. Ils sont 
sans conviction, pessimistes et apolitiques57 » (p. 11). Le rapport 
explique alors ces mouvements par différents critères comme la 
difficulté de vivre dans une métropole, la crise d’orientation, ou 
encore la peur du futur. Il identifie également un problème : ces 
jeunes ne possèdent pas de lieux propres pour se réunir et 
exprimer leurs cultures. Et ainsi, le rapport recommande que 
l’État mette en place de tels espaces pour les jeunes.  
Cette volonté de désamorcer le conflit politique par la lecture 
culturaliste s’exprime littéralement dans le rapport susmentionné 
et sera appliquée par les différentes villes avec succès. Chacune 
mettra en place une politique plus tolérante en termes 
d’expression des cultures jeunes en leur mettant notamment à 
disposition des salles. Et effectivement, dès 1982, les différents 
mouvements de protestation vont s’affaiblir du fait de différentes 
scissions avant de disparaître. La politique menée par Zürich, et 
● 
56  Möglichkeiten und Grenzen einer kantonalen Jugendpolitik. Bericht der 
Regierungsrätlichen Kommission Jugendpolitik zu der am. 9 Februar 1981 
überwiesenen Motion Nr.1994. Stadt archiv Zürich, V.L.135 : 3.1 
Publikation, Bücher und Broschüren 
57  « Von "diesem politischen Idealismus" ist in der heutigen 
Jugendbewegung wenig mehr zu finden. Sie ist führerlos, pessimistisch und 
eher apolitisch. » 
  60 
avant elle par Genève comme nous l’avons vu, va servir de 
modèle aux autres villes touchées par les revendications. Dans 
cette logique, elles vont toutes intégrer des financements dévoués 
aux musiques jeunes dans leur budget, tout d’abord au sein du 
département de la jeunesse puis dans celui de la culture, ce 
déplacement indiquant également la plus forte légitimité conférée 
à ce type de production musicale. On peut éventuellement lire la 
reconnaissance de cette politique culturelle au niveau national 
dans la nomination de Sigmund Widmer, maire de la ville de 
Zürich jusqu’en 1982, au poste de président de Pro Helvetia en 
1986, et celle de Guy-Olivier Second à la présidence la 
commission fédérale pour la jeunesse de 1980 à 1990.  
Hormis pour Genève où l’évolution fut plus précoce, l’année 
1980 constitue donc une année charnière pour les principales 
villes de Suisse, qui vont passer du stade de politiques culturelles 
peu développées et restreintes aux cultures de l’élite ou 
traditionnelles, à celui d’une offre parfois pléthorique en termes 
de bars et de salles de concert destinées aux cultures jeunes, la 
pop devenant une composante centrale des pratiques et de l’offre 
musicales au plan national. Lausanne s’enorgueillit ainsi 
aujourd’hui sur son site internet d’être une ville culturelle, multiple et 
vivante ; Zürich de posséder des Rockclubs et des alternative 
Kulturzentren. Mais la question du véritable poids donné aux 
musiques jeunes reste sur la table. En effet, les villes mettent 
bien en avant les scènes musicales jeunes, les valorisant même en 
leur confiant une fonction de prestige pour la ville dans le 
tournant culturel des politiques du tourisme (Croutsche, 2005). 
Mais si on se penche sur les financements des différents cantons, 
la part dévolue aux musiques jeunes reste nettement inférieure 
aux autres types de musique. À titre d’exemple, le budget total 
dévolu à la musique du canton de Vaud, et celui de Lausanne ne 
sont ainsi consacrés ces dernières années qu’à hauteur de 5 et 
10% aux musiques jeunes, les principaux financements étant 
destinés à l’Opéra et à l’Orchestre de chambre. L’hiver est peut-
être bien révolu aujourd’hui et les musiques jeunes semblent 
même omniprésentes. Pour autant, le réchauffement au nom de 
la « pop » se réduit souvent à des offres en termes de 
  61 
consommation, pour un soutien à la production toujours 
restreint.  
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Changing European Societies, 1960-1980, New York et Oxford : Berghahn 
Books. 
 
  63 
NON SONO SOLO CANZONETTE : 
LA POP ITALIENNE EN SUISSE 
par Irene Pellegrini et Sandro Cattacin58 
LA MUSIQUE DANS UN MONDE MOBILE ET 
DIGITALISE 
L’histoire de la modernité est intimement liée à la musique 
italienne. L’opéra et la musique classique italienne par exemple 
font partie des pratiques d’écoute des élites à travers le monde. 
Toutefois, l’Italie a également exporté des musiques 
traditionnelles, folkloriques, pop et rock. Celles-ci sont 
aujourd’hui largement connues à travers le monde, y compris en 
Suisse. Dans le contexte helvétique, ce processus de diffusion ne 
peut être expliqué uniquement par le fait que l’italien est une des 
quatre langues nationales et qu’il est majoritairement parlé dans 
le canton du Tessin et dans certaines parties des Grisons. La 
diffusion de la pop italienne s’explique principalement par la 
présence massive de migrants italiens depuis la Deuxième Guerre 
mondiale. À ce titre, étudier la musique permet d’appréhender 
l’importance des pratiques artistiques et culturelles dans la vie 
quotidienne des acteurs sociaux mobiles.  
Traditionnellement, les études sur les migrations se 
concentrent sur les flux migratoires et les politiques publiques. 
Pourtant, les pratiques culturelles et artistiques constituent un 
objet de recherche pertinent, car elles sont un puissant moyen 
pour les individus de tisser des liens avec des personnes venant 
d’horizons sociaux différents (Martiniello, 2015). Notre propos 
● 
58 Texte traduit par Loïc Riom et Marc Perrenoud. 
  64 
n’est, ici, pas de saisir – d’un point de vue essentialiste – 
comment la musique est le reflet des individus, mais de montrer 
comment elle crée et construit une expérience qui façonne à la 
fois la subjectivité des individus et leurs identités collectives 
(Frith, 1996, p. 111). Autrement dit, la musique a une capacité de 
créer de l’activité sociale. Elle est un type d’interaction constituée 
de relations sociales entre des musiciens et une audience, entre 
des organisations, des classes sociales et des styles de vie. À la 
suite de Small (1998, p. 2), nous traiterons donc la musique 
comme un sujet toujours « en devenir », plutôt qu’un objet aux 
qualités fixes, un verbe – musicking – plutôt qu’un nom.  
Nous articulerons cette approche conceptuelle avec celle du 
paradigme de la mobilité et des études sur les migrations. Celle-ci 
analyse les dynamiques internationales et transnationales pour 
comprendre la construction des identités, la diffusion d’idées et 
de pratiques sociales (Faist et Özveren, 2004 ; Vertovec, 2007). 
Partant du constat qu’il existe un « écart grandissant entre 
territoires, subjectivité et collectifs sociaux » (Appadurai, 1996, p. 
189), elle permet de saisir les dynamiques culturelles, sociales et 
économiques variées qui traversent les frontières et génèrent de 
nouveaux espaces sociaux. En effet, les avancées technologiques 
liées à la révolution digitale ont fait entrer la mobilité dans une 
nouvelle phase transformant considérablement l’ancrage des 
individus dans un territoire (Urry, 2000). 
Le processus de musicking est également touché par ces 
transformations. Les nouvelles technologies de la 
communication permettent, en effet, la diffusion rapide et 
simultanée de musique à travers le monde (Crossley, McAndrew, 
et al., 2014). L’objectif de cet article est de présenter les résultats 
d’une recherche exploratoire s’intéressant à des individus 
mobiles, musiciens – amateurs, professionnels – et amateurs de 
musique, qu’ils se déplacent volontairement ou involontairement, 
de manière temporaire ou permanente, et en utilisant ou non les 
nouveaux médias. Pour ce faire, nous prêterons une attention 
particulière à la diffusion de la pop italienne dans les parties non 
italophones de la Suisse. Cela nous permettra de lier la longue 
  65 
histoire de la migration italienne, les transformations du contexte 
sociopolitique helvétique avec l’écoute de la pop italienne. 
LE PAYSAGE MUSICAL SUISSE ET LA PLACE DE LA 
MUSIQUE ITALIENNE 
Nous commencerons notre travail d’analyse de la place de la pop 
italienne en Suisse en nous intéressant à l’histoire du Festival de 
musique italienne de Zurigo (1957-67). À travers cet exemple, 
nous montrerons comment et par quels biais la musique italienne 
s’est fait une place dans le contexte helvétique. Dans la deuxième 
partie de cet article, nous continuerons notre exploration du 
monde de la musique en suisse en analysant les 50 dernières 
années du Hit-Parade suisse (1968-2015) et, plus 
particulièrement, la place des musiciens italiens dans ce 
classement. La troisième partie de l’article a pour objectif de 
saisir les pratiques musicales dans la vie quotidienne, et 
d’examiner la musique comme une force d’organisation de la vie sociale. 
Pour ce faire, elle s’appuiera sur une analyse qualitative et 
biographique d’entretiens menés auprès de musiciens italiens en 
Suisse alémanique. De plus, nous utiliserons des données 
récoltées sur Internet pour comprendre la construction des 
identités à travers la musique et ses conséquences pour la langue 
italienne59. 
LE FESTIVAL DE MUSIQUE ITALIENNE DE ZURIGO : 
LA « PETITE ITALIE » DE LA MUSIQUE EN SUISSE 
Nous ne cherchons pas à établir une corrélation statistique entre 
l’influence de la musique italienne sur le paysage musical suisse et 
le nombre de migrants italiens dans le pays. Il nous semble 
● 
59 Ceci dans une perspective similaire aux travaux de Morena La Barba sur 
les pratiques autour du film et du documentaire dans la communauté 
italienne en Suisse (La Barba, 2013).  
  66 
préférable et plus heuristique d’explorer cette relation d’un point 
de vie qualitatif. La sensibilité de la musique italienne au thème 
de la migration commence avec l’émergence de la pop. Il est 
possible de dater cette émergence au moment du boom 
économique Italienne dans les années 1950-1963. Alors que les 
flux de migration sont doucement en train de décroitre après 
près d’un siècle d’importante émigration60, l’industrialisation du 
Nord du pays provoque d’importants mouvements internes de 
population. À cette époque, la migration devient un thème 
récurrent des chanteurs pop italiens. Alors que pendant 
longtemps ce thème est resté confiné au folklore des régions 
rurales et à des productions non commerciales, la migration 
intègre peu à peu la pop à partir des années 1950 et du début des 
années 1960. Le festival de Sanremo – rare production 
télévisuelle disponible, à cette époque, pour les italophones à 
l’étranger – introduit les premières chansons sur la migration, la 
solitude des migrants et le mal du pays.  
En 1952, le thème fait son apparition pour la première fois 
dans une chanson interprétée par Gino Latilla « Un disco per 
l’Italia ». Il en est de même en 1958 avec la chanson de Natalino 
Otto et Latilla « Tu sei del moi paese ». D’ailleurs, Latilla sera le 
gagnant du Festival de Zurigo, deux ans plus tard, en 1960. Des 
auteurs et des interprètes, comme Luigi Tenco, Claudio Villa, 
Celentano, ou encore Giovanna Marini, s’intéressèrent à 
l’histoire de la migration et s’en emparèrent. Ils racontèrent les 
peines et la mélancolie des Italiens à l’étranger ainsi que les luttes 
politiques des migrants internes au pays. Ces thématiques étaient 
très appréciées par de nombreux Italiens en Suisse. Attirés par 
cette musique qui leur rappelait leurs propres expériences, ils 
l’importèrent en Suisse lorsqu’ils revenaient de voyages en Italie, 
participant ainsi à la diffuser (dans une époque sans Internet, 
mais également sans chaines de radio ou de télévision privées).  
● 
60  De 1876 à 1976, près de 27 millions d’Italiens quittèrent le pays 
(Ciuffoletti et Degl’Inncenti, 1978).  
  67 
Le Festival de musique italienne de Zurigo, qui eut lieu 
pendant dix ans de 1957 à 1967 au Kongresshaus de Zürich, 
illustre l’émergence progressive de la musique italienne en Suisse. 
Il fut organisé dans le but d’attirer la communauté italienne de 
tout le pays. À cette époque, la majorité des migrants italiens en 
Suisse alémanique étaient des saisonniers. Ceux-ci avaient donc 
toujours l’idée qu’ils reviendraient au pays, d’autant plus que la 
seule alternative qui leur était offerte était l’assimilation à la 
société suisse. Ce projet du retour s’en trouvait mystifié, 
nécessitant un besoin constant de renouer avec le pays et la 
culture d’origine (Cerutti, 1994 ; Ricciardi, 2013). 
Le festival naquit de l’initiative d’une radio (Radio Zurigo) et 
fut retransmis à la fois par des chaines de télévision publiques 
suisses et italiennes rencontrant de larges succès en termes 
d’audience. L’existence même d’un tel concours de musique, son 
succès, sa durée et son prestige reflètent la présence massive de 
migrants italiens en Suisse. Leur nombre était, en effet, en 
constante augmentation depuis 1945, et ce jusqu’à 1970. Les 
Italiens représentaient alors plus de la moitié de la population 
étrangère totale du pays. 
Lorsqu’on s’intéresse aux chansons issues du festival qui 
connurent les plus larges succès, on note la popularité de la pop 
italienne, en particulier dans ses déclinaisons régionales et 
populaires, mais également celle de textes faisant référence à la 
migration. Un court extrait du vainqueur de 1966, « Italia, Italia », 
donne une bonne idée des contenus les plus appréciés par les 
Italiens de l’étranger à cette époque : 
Italia, Italia, dolce paese dove l’amore è vita, la vita è 
amore, un paradiso tutto per noi […] un mare sempre 
blu da non lasciare più. 61  (Emanuela Tinti et Ben 
Venuti, Italia, Italia, Bentler, 1966) 
● 
61 « Italie, Italie, doux pays où l’amour est vie, la vie est amour, un paradis 
pour nous […], une mer toujours bleue à ne plus quitter » (notre 
traduction). 
  68 
De 1960 à 1963, la part du lion revient à la musique napolitaine62. 
Il est nécessaire de rappeler que la musique italienne avait déjà 
une longue tradition de textes portant sur la migration, liée 
notamment à l’importante émigration des Italiens du Sud vers les 
États-Unis d’Amérique à la fin du 19ème siècle (Frasca, 2010). 
En Suisse, la présence d’Italiens des régions méditerranéennes 
commença seulement à la fin des années 1950, mais continua 
ensuite à augmenter (Ricciardi, 2013). 
Durant au moins une décennie, de 1960 à 1970, la musique 
italienne trouva donc sa place dans le paysage musical suisse : la 
petite Italie de la musique. Sa position était néanmoins très 
définie et limitée. La musique italienne était pratiquement 
entièrement produite, diffusée et consommée par des Italiens 
dans le but de maintenir un contact avec leur région de 
naissance. Ceux-ci formaient deux groupes distincts : les Italiens 
du Nord, arrivés entre 1945 et 1957, qui venaient de juste l’autre 
côté de la frontière et qui pouvaient voyager régulièrement entre 
les deux pays ; et les Italiens du Sud, arrivés entre 1957 et 1973, 
qui avaient moins de possibilités pour visiter leur patrie et 
ressentaient plus fortement le mal du pays. Toutefois, ces deux 
groupes n’avaient généralement pas le projet à s’installer en 
Suisse et cherchaient à épargner de l’argent et/ou à en envoyer à 
leurs proches restés en Italie, puis à revenir au pays pour acheter 
une maison et assurer un héritage. C’est pourquoi, durant ces 
années, les Italiens cherchèrent plutôt à construire des ilots – 
souvent autour d’une origine régionale – pour partager la 
pratique de la langue, la musique et plus largement la culture de 
leur patrie. Dans ce scénario, il paraît évident que le Festival de 
Zurigo a joué un rôle central. 
● 
62 En 1960, Gino Latilla avec Cicillo a sentinella, en 1961, Dino Sarti avec 
Pazzianno, pazzianno, en 1962, Tullio Pane avec L’ammore avess’a essere, en 
1963, à nouveau Tullio Pane avec Eternamente tu (Carpinelli, 2001). 
  69 
OUVERT AU MONDE :  
LE HIT-PARADE SUISSE ET LES CHANTEURS 
INTERNATIONAUX ITALIENS 
Malgré cela, la musique italienne occupa un rôle central dans le 
paysage musical helvétique au cours des cinquante dernières 
années. Si l’on regarde quels ont été les dix artistes les plus 
présents dans Hit-Parade de 1968 à nos jours (voir tableau 1), on 
note la présence de deux chanteurs italiens reconnus 
internationalement : Eros Ramazzotti et Zucchero.  
Tableau 1 : Nombre d’albums et de semaines passées dans le 
Hit-Parade suisse (1968-2015) 
Place Artiste Nombre d’albums 
dans le Hit-Parade 
Semaines passées 
dans le Hit-Parade 
1 Céline Dion 26 621 
2 Eros Ramazzotti  21 604 
3 Madonna 25 535 
4 Michael Jackson 21 540 
5 Bon Jovi 19 494 
6 Gotthard 17 537 
7 Tina Turner 17 418 
8 Gölä 22 492 
9 Zucchero  18 444 
10 Queen 22 423 
Sources : http ://www.hitparade.ch 
Aussi bien Ramazzotti que Zucchero commencèrent à se faire 
Italie internationalement dans la deuxième partie des années 80. 
Toutefois, en comparaison avec d’autres pays, la Suisse fut 
particulièrement réceptive à leur musique. Le premier pays en 
dehors de l’Italie dans lequel Ramazzotti atteint la première place 
  70 
du Hit-Parade fut la Suisse en 198563. Idem pour Zucchero qui 
atteint la première place du Hit-Parade suisse en 198764.  
Nous avons également relevé pour chaque décennie, entre 
1970 et 2015, combien et quels artistes italiens furent présents 
dans le top 10 du Hit-Parade suisse (tableau 2). Cette analyse 
permet de noter que malgré le succès important des chansons 
italiennes entre 1970 et 1990, la présence d’artistes italiens 
décline constamment au fil des décennies.  
Tableau 2 : Chansons italiennes dans le Hit-Parade par décennie 
(1970-2015) 
Décennie Nb de titres italiens 
dans le top 10 
Année, titre, rang de la première chanson 
italienne dans le Hit-Parade 
1970/1980 8 1975 : I santo california tornero’, n° 1 
1981/1990 5 1990 : Nannini, Bennato, un’estate italiana, n°1 
1991/2000 3 1997 : Bocelli, con te partiro’, n°1 
2001/2010 0 
2006 : Ferro, dimentica, n°13 
(première chanson italienne) 
2011/2015 0 Aucune chanson dans les cinquante premières positions 
Sources : http ://www.hitparade.ch 
Comment interpréter cette tendance? Il est historiquement 
bien connu qu’à partir de la moitié des années 70, la 
communauté italienne en Suisse commença à décroître en raison 
de la croissance économique italienne. La présence italienne était, 
d’ailleurs, à son plus faible niveau dans les années 2000. 
Néanmoins, il faut également prêter attention au contexte 
socioéconomique helvétique, car la réalité migratoire y est 
étroitement liée.  
● 
63  https://de.wikipedia.org/wiki/Eros_Ramazzotti/Diskografie, (consulté 
le 23 août 2017). 
64  Bien avant d’être reconnu internationalement : 
https://de.wikipedia.org/wiki/Zucchero, (consulté le 23 août 2017). 
  71 
Immédiatement après la Deuxième Guerre, les flux 
migratoires vers la Suisse étaient presque exclusivement 
composés de travailleurs saisonniers ou porteurs d’un permis 
annuel. Au fil des années, et en raison de l’augmentation du 
besoin de main-d’œuvre, les employeurs suisses firent venir des 
travailleurs d’Espagne, du Portugal, de Yougoslavie et d’autres 
pays du pourtour méditerranéen. Le choix de recruter des 
travailleurs en dehors de l’Italie était motivé notamment par la 
volonté de devenir moins dépendant de ce pays (Afonso, 2005, 
p. 153). Cependant, à la suite des chocs pétroliers de 1973 et 
1976, l’économie suisse fut touchée par une forte récession. 
Même si le taux de chômage resta relativement faible, la 
proportion d’étrangers chuta rapidement : près de 245’000 
saisonniers quittèrent la Suisse entre 1973 et 1976 compensant 
ainsi largement les pertes d’emplois (Schmidt, 1985).  
CHANGEMENTS DANS LES FLUX MIGRATOIRES ET 
DANS LES MONDES DE LA MUSIQUE 
Après cette chute au milieu des années 1970, le nombre 
d’étrangers augmenta régulièrement durant les années 1980 et 
1990. De 950’000 en 1980, ce nombre atteint plus de deux 
millions aujourd’hui. Sans aucun doute, depuis trente ans, la 
Suisse a ouvert ses portes au monde, sous l’influence plus ou 
moins volontaire du gouvernement et des institutions politiques. 
Même si les différences entre les politiques de la citoyenneté 
rendent difficile la comparaison, la Suisse possède un taux 
d’étrangers parmi les plus élevés au monde et proche du double 
de la moyenne européenne.  
Cependant, l’origine et les motivations de ces nouvelles 
générations de migrants étaient différentes, plus hétérogènes, 
plus complexes que celles des premières générations. Le 
recrutement à l’étranger n’était plus le moteur central de ces flux. 
De plus, au fil des ans, les saisonniers virent leur statut 
transformé et stabilisé. Ils purent ainsi faire venir légalement et 
sans restriction leur famille dans le pays. Par ailleurs, les fins 
  72 
successives de l’Union soviétique, puis de la Yougoslavie 
créèrent de nouvelles vagues de réfugiés. Peu après, 
l’intensification du processus d’intégration à l’Union européenne 
devint un défi majeur pour la politique migratoire suisse. Après 
un long et difficile processus de négociation, le peuple accepta en 
2000 un accord bilatéral sur la liberté de mouvement des 
personnes avec l’UE (Afonso, 2005, p. 160). 
Il est clair que durant cette période, la société suisse devient 
graduellement plus hétérogène, pluriculturelle et plurilinguistique. 
Au cours de ces années, la communauté italienne perdit son 
statut de première communauté étrangère du pays, mais gagna 
aussi en complexité en se mélangeant à d’autres groupes. Les 
Italiens qui s’installèrent en Suisse à partir des années 1960 
fondèrent des familles et élevèrent leurs enfants dans leur 
nouveau pays d’adoption. Depuis les années 1980, cette 
deuxième génération entreprit de renégocier l’image des Italiens 
en Suisse (Cattacin et Pellegrini, 2016) et de créer de nouveaux 
espaces pour la langue italienne relativement indépendants de la 
migration et des régions italophones (Pellegrini, Pini, et al, 2016).  
À cela, il faut ajouter un élément crucial qui participa à 
changer la place de la pop italienne en Suisse : l’émergence des 
nouvelles technologies de l’information. Depuis les années 1970, 
la transformation des systèmes globaux de communication 
contribuera à l’émergence d’une société de l’information en 
réseau (Castells, 2010). Sans entrer dans le détail de ces 
innovations, il faut souligner comment progressivement il a été 
de plus en plus facile et moins couteux de trouver une 
information ou un contenu médiatique comme de la musique, 
indépendamment de toutes logiques spatiales. Le résultat de ce 
processus fut une internationalisation progressive du paysage 
musical suisse et l’émergence d’une consommation culturelle 
individualisée. 
  73 
LA MUSIQUE ITALIENNE EN SUISSE AUJOURD’HUI : 
DES MUSICIENS AU SEIN DES RESEAUX DIGITAUX 
Dans de cette dernière partie, nous changerons de focale en 
passant d’un point de vue historique à un point de vue individuel 
en prenant les exemples d’Italiens faisant de la musique en 
Suisse. Deux cas seront présentés : Mr. Riko et la Taranta.  
MR. RIKO 
Mr. Riko est un rappeur d’Alberobello, un petit village dans les 
Pouilles au Sud de l’Italie. Il a 33 ans et vit à Zürich depuis cinq 
ans. Mr. Riko vient d’une famille pauvre. Coiffeur, il vit à 
l’étranger puis ses 18 ans. Il commença par s’installer à Rome 
avant de s’établir à Milan, puis à Madrid, avant d’arriver en Suisse 
en 2012. Il débuta la musique à 16 ans. Lorsqu’il décrit son 
public, on saisit l’importance de la technologie dans la diffusion 
de sa musique. À Zürich, Mr. Riko trouva néanmoins son groupe 
à travers Internet en cherchant d’autres rappeurs italophones. 
L’appartenance à une nationalité de ne joue plus ici un rôle dans 
sa manière de cibler son audience, ni dans la production et la 
diffusion de sa musique. Toutefois, elle reste importante dans sa 
vie quotidienne – le musicking65 de tous les jours (Small, 1998) – 
pour construire un réseau composé par les personnes aux 
intérêts similaires. Cela semble motiver par le souci de pouvoir 
communiquer plus facilement. Il n’en reste pas moins que son 
ancrage local se traduit dans certains des textes de Mr. Riko, et 
en particulier dans son titre Locotown, comme le montrent ses 
explications :  
Locorotondo est le nom d’un village près d’Alberobello. 
On est beaucoup de mon crew à venir de là. J’ai écrit cette 
chanson parce que je voulais leur dire que je n’oublie pas 
d’où je viens, leur dire que la situation ici est mauvaise. À 
● 
65 Définition p. 64. 
  74 
mon avis, seulement les plus fous restent ici. Comme tu 
le sais, loco en Espagnole signifie fou.66 
La digitalisation lui a également permis d’être produit par un 
label professionnel. Mr. Riko a récemment gagné un concours 
organisé sur Internet par un label italien. Il envoya un titre qui 
fut choisi par le vote des internautes, puis un jury composé 
d’experts. Le prix fut la possibilité que son nouvel album soit 
produit et distribué par le label. Le single qui fut diffusé pendant 
l’été en Italie s’intitule Tutti al mare.  
L’histoire de ce musicien nous rappelle qu’il ne faut pas 
négliger l’importance des mobilités et la façon dont elles 
participent à construire des réseaux. De manière à prendre au 
sérieux le nouveau paradigme de la mobilité ainsi que la nouvelle 
réalité des discontinuités géographiques dans les espaces sociaux 
(Lam et Warriner, 2012), il est important de souligner comment 
Mr. Riko maintien son réseau non seulement avec sa ville natale, 
mais également avec Rome, Milan et l’Espagne, non seulement 
avec son public, mais également d’autres musiciens, des labels, 
des producteurs, des vidéastes, des studios, etc. Il travaille 
également avec d’autres artistes italiens en Suisse ainsi qu’en 
Allemagne et ailleurs. À ce titre, on peut noter que la chanson 
dédiée à son village d’origine porte le nom d’un néologisme 
composé d’anglais et d’espagnol : Locotown.  
IDENTITES LOCALES DANS UN MARCHE DE LA 
MUSIQUE GLOBALISE : LE VOYAGE DE LA TARANTA 
La globalisation du marché de la musique implique qu’en 
comparaison avec ce qu’il a pu se passer durant les années 1950 
et 1960, il n’existe plus un espace singulier pour la musique 
italienne organisé uniquement autour des migrants. La 
composition et les caractéristiques de la population suisse ont 
● 
66  Notre traduction de l’italien. Entretien réalisé avec Mr. Riko le 
20.04.2016.  
  75 
considérablement changé. Cela a pour conséquence de 
transformer plus rapidement qu’on aurait pu le penser les modes 
de communication. Cependant, une chose ne change pas : les 
gens vivront toujours dans un espace et une temporalité uniques 
et définis (Appadurai, 1996). Ainsi, la globalisation de la culture 
peut être étudiée comme une série de processus impliquant des 
phénomènes d’hybridation, d’interconnexion et d’appropriation 
(Appadurai, 1990).  
C’est le cas de notre deuxième exemple : une musique 
folklorique typique d’une région de l’Italie qui connut une 
diffusion internationale jusqu’en Suisse alémanique, la Pizzica 
Slentina. Ressuscitée dans les Pouilles, région d’origine de cette 
ancienne danse dans les années 1970 et 1980, elle fut 
nationalement promue dans les années 1990 au moyen d’une 
grande manifestation appelée La Notte della Taranta. La Pizzica 
fut, ensuite, adoptée, exportée et revisitée dans des contextes 
divers et variés. Le producteur de la Notte della Taranta promut 
également la musique folklorique du Salento à l’étranger en 
faisant jouer cette musique à des musiciens connus. Ceux-ci 
proposèrent des versions hybridées de cette musique. Par 
exemple, l’orchestre d’Ambrogio Sparagna organisa un grand 
concert de musique du Salento à Pékin en 2006. Plus récemment, 
en 2011, Ludovico Enaudi – l’un des pianistes et compositeurs 
italiens les plus reconnus – proposa une version personnelle de 
cette musique lors d’un concert à Londres (Versienti, 2015). 
À travers ces différents événements, la musique du Salento se 
diffusa à travers les Apuliens et les Italiens établis à l’étranger. Ce 
qui arriva à la Taranta arriva à d’autres formes de musique 
folklorique qui se diffusèrent au cours du siècle dernier aux 
États-Unis, au Royaume-Uni, en Irlande, en France ou en 
Amérique du Sud. Partout où il existe une interconnexion entre 
la tradition et la modernité, les flux de biens et de personnes 
introduisent sur le marché global de la musique de nouvelles 
formes de musique folklorique.  
  76 
Ce qui est particulier dans le cas de la Pizzica est qu’il existe 
une référence au lieu où ce processus débuta. Cette musique est, 
en effet, encore définie par son origine locale. Cette origine est 
utilisée dans la manière de promouvoir les concerts de cette 
musique. Par exemple, un événement de musique et de danse du 
Salento en mai 2016 à Schlieren fut promu avec le slogan 
« Salento calls Italy ». L’origine géographique du genre musical 
appelant (calls) toutes les personnes intéressées à venir. Au 
même moment et dans la même logique de mélange des langues, 
des lieux et des origines, la musique italienne était promue dans 
un événement multiculturel comme ceci (image 1) : 
Photo 4 : Affiche d’un événement multiculturel 
 
Sources : http://www.kultur-rheinfelden.ch/rhf-kultur/agenda/2016/mai/06/multikultifestival.html, 
(consulté le 27 juillet 2017) 
 
  77 
Sur cette affiche, différentes identités régionales se partagent 
le même espace publicitaire. Elles se contiennent mutuellement 
appelant une audience pluriculturelle, mais à la recherche de 
cultures régionales ou pluriculturelles à venir. Ici, le processus de 
musicking ainsi que d’autres formes d’expression créative et 
artistique participent à l’expression politique des identités 
minoritaires dans la société globalisée des réseaux (Martiniello et 
Lafleur, 2008). 
 CONCLUSION  
Les exemples présentés dans ce chapitre montrent que non 
seulement les lieux de la pop italienne ont changé, mais qu’il en 
est de même pour la manière dont la musique est produite. 
Jusque dans les années 1970 et dans le contexte de l’économie 
fordiste, la diffusion de la musique italienne était fortement liée à 
la migration italienne. Les travailleurs saisonniers organisaient 
leur « petite Italie » provisoire pour maintenir un lien avec leur 
patrie. Toutefois, l’installation et l’incorporation progressive des 
migrants, des styles de vie et de la pop italienne ont transformé, 
du moins partiellement, le paysage musical en Suisse.  
Seulement depuis les années 1990, la pop italienne s’est 
émancipée de l’histoire de la migration italienne en Suisse. Nous 
avons souligné différents éléments qui expliquent ce processus, 
en particulier la transformation de la population migrante en 
Suisse ainsi que la déterritorialisation des productions culturelles 
et l’émergence des sociétés urbaines de la différence (voir tableau 
3). Notre propos se situe ainsi dans le prolongement d’un 
changement de paradigme et du déplacement de l’étude des 
migrations vers celle des mobilités (Sheller et Urry, 2006) des 
relations internationales vers les relations translocales (Anthias, 
2013). Enfin, notre contribution décrit à partir de quelques 
exemples pourquoi les études historiques sont fondamentales 
pour comprendre les défis auxquelles la recherche sociologique 
est confrontée aujourd’hui.  
  78 
Tableau 3 : Transformation de la musique italienne en Suisse 
Période Contexte 
migratoire  
Musique italienne en 
Suisse 
Logiques de 
reproduction 
1950-1970 : 
Zurigo Festival 
Migration 
saisonnière 
Communauté italienne 
auto-organisée 
Maintien d’un lien 
avec l’Italie 
1970-1990 :  
Hit Prade 
Installation Localisée 
Création d’une 
identité italienne en 
Suisse 
Depuis 1990 : 
Mr. Riko 
Pluralisation et 
nomadisme 
Multilocale Identités multiples 
Depuis 1990 : 
Pizzica 
Société urbaine 
et pluraliste 
Fusion, adaptation de la 
musique folklorique 
Identifications et 
pluriculturalisme 
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  81 
BABA USLENDER : 
CONQUETE D’UN POUVOIR D’AGIR ET 
« GENTRIFICATION MUSICALE » 
par Luca Preite67 
Le monde académique mais également le grand public ont 
tendance à considérer les jeunes migrants ou étrangers comme 
des populations « à risque ». Pourtant, au cours des dernières 
années, de nombreux jeunes artistes (généralement des hommes), 
tels que le musicien Müslüm ou le comédien Bendrit Bajra, ont 
su mettre à profit les réseaux sociaux pour atteindre leur public : 
à l’évidence, l’utilisation très ironique de leur propre parcours 
migratoire y a rencontré un franc succès. Baba Uslender, 
autoproclamé Parain (« Baba ») des étrangers, et son collectif de 
hip-hop – « Uslender Production » – font partie des meilleurs 
représentants de cette tendance. En Suisse alémanique, leurs 
vidéos sont particulièrement virales sur YouTube, où elles 
cumulent plus quatre millions de vues68, un score remarquable 
pour un pays de 8 millions d’habitants.  
Uslender Production est un collectif de jeunes artistes (Baba 
Uslender, Ensy, Effe), n’ayant pas jusqu’ici bénéficié du soutien 
d’un label, major ou indépendant. Aucun des artistes composant 
le collectif n’a de formation musicale ou artistique, tous ont 
appris sur le tas. Il en est de même pour les membres en charge 
de la production ou de la promotion du collectif. Composer la 
musique, écrire les paroles, produire les vidéos ou prendre les 
● 
67  Je remercie Marc Perrenoud et Loïc Riom pour la traduction de ce 
chapitre en français et Aïdas Sanogo pour la correction des épreuves. 
68 Comptage personnel à partir de la chaine YouTube du collectif.  
  82 
artistes en photo : l’entièreté du processus de création est prise 
en charge par une génération de jeunes autodidactes ayant 
développé les compétences et les savoir-faire nécessaires pour 
produire leur propre musique, à la manière d’un art populaire, et 
la diffuser au travers les réseaux sociaux.  
Dans leur musique, les artistes d’Uslender Production 
mobilisent leurs propres expériences biographiques, celles de leur 
génération, de leur classe sociale, et plus largement celle des 
jeunes issus de la migration. Le niveau relativement faible d’accès 
à l’éducation (Fibbi, Lerch, et al., 2010, p. 150), le fort taux de 
chômage et les discriminations à l’embauche (Fibbi, Lerch, et al., 
2006), ainsi que la consommation solitaire et excessive de médias 
sociaux (Bonfadelli, Bucher, et al., 2007) – tout ce qui est 
généralement résumé sous l’épithète perdu entre deux cultures ou 
entre deux mondes (Weiss, 2007) – nourrissent le propos du 
collectif sur les jeunes issus de l’immigration en Suisse et ailleurs. 
La manière dont ces thématiques sont traitées est centrale : les 
paroles du collectif naviguent constamment entre l’humour et le 
sérieux le plus total (Preite, 2016), comme l’illustre les paroles de 
Baba Uslender : « Fais attention, putain de morveux, j’ai cassé 
deux fois la boxing machine au Luna-park »69. 
COMPRENDRE BABA USLENDER A L’AIDE DE 
WILLIS ET DE BOURDIEU 
Comment comprendre le cas spécifique d’Uslender Production ? 
Existe-t-il une approche sociologique adéquate pour traiter de 
leur musique et si oui, quel est son apport ? Pour Baba Uslender, 
● 
69 « Du huere Rotznase muessch bizli ufpassen, ha in Chilbi d Boxkaste 
zwei Mol kaputtgschlage » (Baba et al., 2012a). Les traductions de 
l’ethnolecte utilisé par le collectif (« Uslenderdüütsch » ou « suisse 
allemand des étrangers ») ne peuvent être qu’approximatives et ne sont là 
que pour fournir des éléments de compréhension supplémentaires au 
lecteur ; les extraits d’entretiens sont quant à eux directement traduits et 
intégrés dans le texte. 
  83 
il était évident que mon intérêt scientifique pour sa musique ne 
risquait pas de contribuer à sa réputation ou lui apporter quoi 
que ce soit – bien au contraire. Malgré tout, il accepta l’idée d’un 
entretien avec « Einstein » (le surnom qu’il me donna), parce qu’il 
pensait que « j’avais compris ». Afin de prendre en considération 
de manière appropriée les circonstances sociales dans lesquels ce 
genre musical a émergé, ce chapitre base son approche théorique 
et méthodologique sur les cultural studies de Paul Willis (Willis, 
1978, 1981) et la théorie des champs de Pierre Bourdieu 
(Bourdieu, 1992, 1993). Alors que Willis considère l’expression 
artistique comme le résultat d’une homologie entre un contexte 
culturel et une position sociale, Bourdieu quant à lui souligne 
l’homologie entre les positions et les prises de position dans le 
champ. 
Ces deux concepts permettent une approche dialectique 
centrée sur les acteurs. Elle place la focale sur les artistes et leur 
production, la comprenant comme une position articulée et une 
articulation positionnée (Lindner, 1981, p. 187). Ainsi, elle tend à 
éviter d’interpréter la production artistique d’une manière trop 
simpliste. À l’inverse, cette approche la conçoit comme la 
médiation des possibilités offertes par les structures établies et inégales du 
champ (Jurt, 1995, p. 94). Pour cela, le travail de Joseph Jurt fut 
pour moi un exemple important. Ses études du champ de la 
littérature en France (Jurt, 1995) et plus encore sur la relation des 
secondos à la littérature en Suisse (Jurt, 2014) démontrent 
clairement qu’une sociologie dialectique des champs artistiques 
peut beaucoup apporter à l’analyse. En fin de compte, l’art vise à 
révéler l’évident ou, pour reprendre les mots de Bourdieu : « la 
dénégation qu’opère l’expression littéraire est ce qui permet la 
manifestation limitée d’une vérité qui, dite autrement, serait 
insupportable » (Bourdieu, 1992, p. 60).  
C’est pourquoi, j’ai fait le choix de baser ma propre recherche 
sur les données suivantes : l’écoute de la musique du collectif 
ainsi que le visionnage de ses vidéos complétés par un focus group 
mené avec ses membres. Mes données sont également 
composées de commentaires postés sur Facebook et YouTube, 
  84 
d’extraits de journaux, de magazines et d’émissions radio et d’un 
entretien semi-structuré avec la journaliste Michèle Binswanger, 
une des premières à s’être intéressée à Baba Uslender pour le 
compte d’un quotidien national (le Tagesanzeiger). Alors que les 
débuts de Baba Uslender s’inscrivent dans un mouvement de 
« conquête d’une puissance d’action » (ou empowerment, voir les 
deux premières parties), sa réception ultérieure indique plutôt 
une forme de « gentrification musicale » (voir la partie finale).  
LA « JEUNESSE A RISQUE » ET L’APPROPRIATION 
DES MEDIAS SOCIAUX.  
J’ai connu Uslender Production lorsqu’un ami me demanda un 
jour si je connaissais Baba Uslender, le dernier musicien à la 
mode. Ses vidéos sur YouTube m’ont surpris. Comment un 
musicien pouvait-il rencontrer un tel succès sur les réseaux 
sociaux sans que je le connaisse ? Je jouais alors de la guitare 
dans le groupe Alt F4 et évoluais principalement dans la petite 
scène musicale suisse alémanique. Nous avions enregistré nos 
albums dans des studios professionnels, reçu des subventions de 
la part des autorités cantonales, joué de nombreux concerts et 
étions passés plusieurs fois sur des radios locales et nationales. 
Notre titre principal « Aena a Aarau » avait alors été visionné à 
peu près 10’000 fois sur YouTube, alors que ceux d’Uslender 
Production avaient réussi à réunir plus de 4 millions de vues. 
Cette observation me donna l’impression qu’en Suisse, les 
musiques populaires se séparaient en deux scènes parallèles : 
l’une plutôt centrée sur la Suisse, subventionnée, qui a accès aux 
blogs ainsi qu’aux radios spécialisées et qui trouve des débouchés 
dans les clubs et les festivals, et une autre qui sans recevoir de 
subventions, comme Uslender Production, a « seulement » mais 
très clairement rencontré un franc succès sur Internet70.  
● 
70 Dans un entretien en 2014, je demandais à Baba Uslender et Ensy s’ils 
avaient fait des demandes pour des subventions cantonales ou fédérales. 
Ils me répondirent les deux négativement, même s’ils connaissaient leur 
  85 
Mais, quel est le rôle exact des réseaux sociaux dans cette 
affaire ? Existe-t-il une différence entre Uslender Production et 
les nombreux autres musiciens qui réussissent à attirer l’attention 
du public à travers Internet ? Interroger sur le sujet, les membres 
du collectif soulignent l’importance de ce qu’il appelle leur fanbase 
« étrangère » pour expliquer leur succès :  
Au début j’ai été très surpris. On avait juste enregistré 
quelques titres et mis les vidéos en ligne sur YouTube et 
Facebook. Et le jour suivant, on avait déjà plus de 30'000 
vues ! Tout est parti de là. La presse s’est intéressée à 
nous et soudain les gens commençaient à nous aborder 
dans la rue et à nous parler. (Entretien avec Ensy, février 
2015).  
●● 
existence. Ils étaient, de plus, capables de citer les institutions en charge 
des instruments auxquels ils s’étaient intéressés. Néanmoins, ces efforts 
leur apparaissaient vains et les procédures trop formelles. Baba Uslender 
ne mâchait d’ailleurs pas ses mots : « Ça n’a pas de sens (en faisant 
allusion à la nécessité de fournir une biographie du groupe, sa liste de 
publications et la description de son projet) ! Tu dois écrire une chiée de 
trucs. Je pense qu’on pourrait avoir l’argent, mais on ne serait pas foutu 
de remplir toute cette merde. Cela devrait être suffisant de simplement 
écrire “Je suis Baba Uslender. Regardez sur Google pour le reste“. Allez, 
filez le fric et c’est tout ! » [„Das scheisst an [gemeint ist die Band- und 
Musikbiographie sowie den Projektbeschrieb]. Du musst da, weiss ich 
was alles schreiben. Ich denken schon, dass wir Beiträge erhalten würden, 
aber mich scheisst es an, das alles auszufüllen. Es sollte doch reichen, 
dass man schreibt, ich bin Baba Uslender, den Rest kannst du googlen. 
Gib jetzt endlich das Cash und fertig.“]. Les procédures des demandes de 
subvention sont trop facilement considérées comme allant de soi. Ce 
n’est pas le cas. Postuler pour quelque chose (une bourse, une place 
d’apprentissage ou un emploi) suit une procédure très spécifique ; chaque 
postulation est le produit de conventions faisant appel à des formes 
spécifiques d’interactions humaines. Formellement, les postulants doivent 
prouver leurs connaissances de l’existence d’attentes rarement explicitées. 
De plus, ils doivent montrer patte blanche. Et comme le relève Kafka : 
Pourquoi s’avancer devant un juge dont on n’a pas confiance dans le 
jugement ?  
  86 
Les activités en ligne des « jeunes à risque » est un sujet 
largement discuté et bien financé dans le monde académique. Les 
jeunes migrants, surtout ceux de deuxième génération, ont été 
caractérisés par les chercheurs pour leur important usage des 
réseaux sociaux, en comparaison avec les jeunes suisses 
(Bonfadelli, Bucher, et al., 2007, p. 164). Adoptant plus ou moins 
consciemment une perspective déficitaire 71 , ces chercheurs 
oublient, à mon avis, d’interroger ces jeunes sur leurs 
motivations et la signification qu’ils donnent à leurs usages des 
réseaux sociaux. Uslender Production nous en apprend plus sur 
ce sujet : si certains jeunes adultes utilisent les réseaux sociaux de 
manière plus intensive que les autres, ce n’est pas leur isolement 
qui en est à la source. Au contraire, le potentiel de multiplication 
des possibilités d’interaction qu’offrent ces moyens de 
communication joue également un rôle non négligeable. Sans 
surprise, les membres du collectif décrivent les réseaux sociaux 
comme un moyen d’atteindre leur public (dans leur cas : des fans 
étrangers, la même population pour laquelle les chercheurs se 
font du souci pour l’activité jugée comme excessive en ligne).  
On peut faire le parallèle entre ces dynamiques et les 
phénomènes d’autoentrepreneuriat bien documentés chez les 
diasporas habitant dans des zones urbaines défavorisées 
(Eraydin, Tasan-Kok, et al., 2010). Commençant avec des 
préoccupations ethniques spécifiques, par exemple 
d’organisation familiale ou l’accès à certains produits 
alimentaires, elles débouchent sur une transformation en 
profondeur du paysage urbain (Yildiz, 2013). Bien que le rap 
s’inscrive dans un autre registre, des dynamiques similaires sont à 
l’œuvre (Reitsamer et Prokop, 2014). À travers ses vidéos 
● 
71 Même si ce n’est ne pas explicitement écrit, les apparences laissent penser 
que les auteurs considèrent a priori l’usage des réseaux sociaux 
principalement comme un problème. À cet égard, ce n’est pas tout à fait un 
hasard que la « plateforme nationale de promotion des compétences 
médiatiques » se concentre plutôt sur la protection des jeunes face aux 
risques liés aux médias que sur la variété de leurs compétences 
(Confédération suisse, 2015).  
  87 
Uslender Production a réussi à mobiliser avec succès l’intérêt des 
migrants de la deuxième génération et à établir les bases d’une 
scène culturelle ; comme le revendique Baba Uslender lui-même 
dans ses textes : « Juan Baba U. rappe dans un allemand étranger, 
car tous les étrangers comprennent cet allemand »72. 
L’AUTODERISION COMME « SPECTACLE DE 
L’AUTRE » 
Jusque-là, la musique d’Uslender Production ne diffère pas en 
apparence d’autres genres de hip-hop émanant des minorités 
ethniques issues de sociétés post-migratoires comme le gansta-
rap. Néanmoins, si les références aux expériences sociales et 
migratoires abondent également dans les paroles du collectif, il 
existe une différence en apparence ténue, mais en fait très 
importante entre les artistes d’Uslender Production et d’autres 
rappeurs issus de la seconde génération. Que devons-nous 
comprendre lorsque Baba Uslender se présente en ces termes : 
« Fait attention, putain de morveux, j’ai cassé deux fois la boxing 
machine au Luna-park » ? Est-ce sérieux ? Cherche-t-il à nous 
effrayer, à s’imposer comme le « parrain » de tous les étrangers ? 
« Si on apprenait à se battre à l’école, j’aurais été le premier de la 
classe »73. Ou bien est-ce simplement une autre manière de jouer 
avec les préjugés et les stéréotypes sur les jeunes migrants ? 
« Leasing ou non, j’ai toujours dit que j’aurais ma BMW M3 »74. 
Les vidéos du collectif Uslender Production génèrent 
d’importantes discussions sur les réseaux sociaux. Alors que 
certains auditeurs sont persuadés que les paroles sont ironiques 
et doivent être prises au second degré, d’autres les citent en 
● 
72  « Juan Baba U. rapt uf Uslenderdüütsch, denn so verstoht au jede 
Uslender Düütsch » (Baba, et al., 2012a). 
73  « Gäb’s in de Schuel schlägle, wäre ich Klassebeschte » (Baba, et al., 
2012b). 
74 « Ich habe euch immer gesagt. Ich hole mir den BMW 3 mit oder ohne 
Leasing-Vertrag » (Baba et Effe, 2013). 
  88 
exemple de l’échec de l’intégration de la deuxième génération : 
impolitesse, bêtise, machisme, criminalité, mauvaises manières, 
échec scolaire et cette fixation pour les grosses voitures rapides 
dont la BMW M3 est le parfait exemple. Pourtant sommes-nous 
vraiment sûrs d’avoir en notre possession la bonne clé de 
lecture ? La frontière n’est pas aussi claire que certains le 
pensent ; parmi des auditeurs eux-mêmes, il n’existe pas 
d’opposition entre Suisses et étrangers. Comme Baba Uslender 
me l’expliqua lors de notre entretien, il doit constamment 
répondre à des questions émanant de ceux que certains 
chercheurs appelleraient ses compatriotes (Suisses-Kosovars). 
Même son partenaire Ensy fut dans un premier temps irrité par 
le style de Baba Uslender : 
Avant 2011, je ne connaissais que le gansta rap venant de 
l’étranger. À cette époque, je ne pouvais pas m’imaginer 
de me moquer de moi-même en tant que kosovar-
albanais. Baba Uslender était quelque chose de nouveau 
pour moi. Lorsque j’ai écouté sa musique, j’ai d’abord 
pensé que c’était bizarre. J’ai pensé qu’il avait l’air étrange 
et faisait des choses étranges. C’est que d’une certaine 
manière j’ai moi-même des préjugés sur les étrangers 
(rires). (Entretien avec Ensy, février 2015). 
Pourquoi est-ce le cas ? Pourquoi l’autodérision des minorités 
ethniques à la fois fascine et irrite ? Doit-on suivre Jain (2014) et 
considérer cette attraction/irritation comme une nouvelle forme 
de « spectacle de l’autre » (Hall, 1997) ? Ou est-ce seulement une 
blague d’initié, une invitation à se moquer des catégories, comme 
l’affirme à l’inverse Bower (2014) ? Il est utile de prendre du 
recul et de commencer par regarder comment cette dichotomie 
entre irritation et fascination s’articule avant de s’interroger sur le 
pourquoi de celle-ci. 
Pour la journaliste culturelle Michèle Binswanger, c’est leur 
apparence « sympathique » qui distingue principalement Baba 
Uslender et son collectif. Selon elle, ils ont réussi « à mettre en 
avant leur caractère albanais […] d’une manière sympa, sans 
cacher les aspects les plus problématiques et prétendre que « ça 
  89 
n’a rien avoir avec nous » » (interview, février 2015). L’émission 
Hörpunkt sur la radio publique suisse SRF2 invita Baba Uslender 
à une table ronde sur l’état actuel de la langue suisse allemande. 
À cette occasion, la version « rap étranger » du dialecte 
alémanique fut présentée par l’animateur de l’émission comme 
« pleine d’esprit et tranchante » et « sans pitié pour les préjugés 
que les suisses ont sur les étrangers et les personnes ayant un 
passé migratoire » 75 . Le magazine Beobachter qualifia Baba 
Uslender de héros secret du rap suisse allemand 76 . Le journal 
« people » Schweizer Illustriete publia des reportages sur sa vie 
privée 77 . 20 Minuten titra à son tour « il choque avec une 
plaisanterie sur Charlie Hebdo »78. Ces exemples illustrent la large 
couverture médiatique de Baba Uslender. 
En addition à ses succès en ligne et à sa présence sur la 
télévision privée pour les jeunes Joiz TV (ayant depuis fait 
faillite), Baba Uslender apparaît également dans des quotidiens 
nationaux établis et des magazines au lectorat plutôt âgé. De 
manière intéressante, les rubriques dans lesquels il apparaît 
varient : la radio publique l’invite dans le programme Hörpunkt 
sur SFR 2, le quotidien national Tagesanzeiger parle de lui dans 
ses pages culturelles, dans 20 Minuten il fait la une des news, 
alors que Beobachter et Schweizer Illustrierte en font le sujet de 
● 
75  Kultur, SRF 2 (2014), Secondo-Sprech. Heimatland Mundart. 
Hörpunkt : Schweizer Radio und Fernseher, 
https://www.srf.ch/sendungen/hoerpunkt/secondo-sprech, (consulté 
le 11 juillet 2017). 
76 Polli Tanja (2012), «Balkan-Rapper» Heimliche Helden des Mundart-
Rap, Beobachter, https://www.beobachter.ch/auslander/balkan-rapper-heimliche-
helden-des-mundart-rap, (consulté le 11 juillet 2017). 
77 Thommen, Ramona (2012), «Wenns im TV nicht klappt, werde ich 
Lehrer», Schweizer Illustrierte, https://www.schweizer-
illustrierte.ch/stars/schweiz/wenns-im-tv-nicht-klappt-werde-ich-lehrer, (consulté 
le 11 juillet 2017). 
78 Beeli, Simon (2015), Baba Uslender verstört mit «Charlie Hebdo»-
Witz, 20 Minuten, 
http://www.20min.ch/people/schweiz/story/11869420, (consulté le 
11 juillet 2017). 
  90 
reportages. Toutefois, ces différentes couvertures médiatiques 
ont en commun qu’elles négligent toutes la musique pour se 
concentrer davantage sur son statut d’étranger et de migrant. 
Autrement dit, Granit Dervishaj (son véritable nom) remplace 
Baba Uslender.  
Ce changement de focale n’est pas dû au hasard ou à l’intérêt 
de Baba Uslender pour sa propre personne (« certains Suisses 
ont simplement de drôles idées sur les étrangers […] et c’est ce 
que je leur offre »79 ). Au contraire, comme on le sait grâce à 
Goffman, dans l’hétérogénéité des interactions sociales il existe 
des attentes dominantes quant à la façon dont un individu 
stigmatisé doit se présenter (Goffman, 2014, p. 150). C’est à celui 
qui porte le stigmate que revient la tâche de faire le premier pas. 
Il est attendu de lui qu’il se donne en spectacle et qu’il « brise la 
glace ». Il doit s’auto catégoriser et garder profil bas. De cette 
manière, non seulement il accepte la situation, mais il évite 
également tout malaise en plus du stigmate qu’il porte déjà. Les 
individus stigmatisés connaissent très bien les règles du jeu. Ils 
savent exactement comment les individus non stigmatisés se 
sentent irrités et réagissent lorsqu’ils sont confrontés à quelque 
chose qui sort de leur « normalité ». C’est pourquoi dans 
l’anticipation du malaise des autres, ils préfèrent se mettre eux-
mêmes des limites. En montrant ainsi leur bon vouloir et en 
reconnaissant à ce à quoi ils appartiennent, ils participent 
fondamentalement à maintenir la réalité sociale et à renforcer la 
différence insurmontable entre normalité et anormalité, entre le 
soi et l’altérité.  
L’aspect ethnocomique de la production de Baba Uslender 
n’échappe pas à la dynamique du stigmate. J’exagère peut-être le 
trait en parlant de personnes stigmatisées pour les jeunes issus de 
la migration. Cependant, le discours scientifique et social sur 
cette population suggère fortement l’existence d’un tel stigmate. 
De la même manière ce que Rios (2015, p. 63) appelle le 
● 
79 « Ein paar Schweizer haben einfach ein komisches Bild des Ausländers 
[…] und das gebe ich ihnen » (Baba Uslender in : SRF 2 Kultur, 2014). 
  91 
« complexe de contrôle de la jeunesse » 80 , ces jeunes adultes 
doivent faire face à une double stigmatisation : ils ont non 
seulement moins de chance d’accéder à un haut niveau 
d’éducation et à l’emploi, mais, de plus, leurs échecs futurs sont 
quotidiennement anticipés par l’ensemble de la société, 
notamment les acteurs institutionnels tels que les professeurs, les 
policiers, les médias et les politiciens. De la même manière, la 
recherche académique se penche sur ces jeunes de la seconde 
génération en les considérant comme des « jeunes à risque ». 
Les artistes d’Uslender Production ont conscience de ces 
puissantes asymétries à l’œuvre dans les processus de 
catégorisation. Ils sont également conscients que leur échec est 
attendu. Alors, pourquoi se priver d’en rire ? Comme le fait 
remarquer Ensy : « je ne suis pas intégré, je suis victime de 
discrimination et pourtant je parle comme si j’avais étudié 
l’allemand à l’Université »81. Dans ces paroles, il exprime non 
seulement la conscience de sa propre discrimination et/ou son 
désir de montrer qu’il est après tout « normal », mais également 
sa connaissance de l’étroitesse d’esprit du discours scientifique 
sur sa manière d’être et celle de ces pairs. En faisant ça, il met 
ainsi en avant sa maitrise de la langue dominante (je parle comme 
si j’avais étudié l’allemand à l’Université), tout en désavouant la 
croyance du dominant que sa langue ne peut être apprise que de 
façon institutionnelle.  
● 
80 Le « youth control complex » est un concept développé par le sociologue 
Victor Rios (2015, p. 63). Dans le cadre de sa recherche sur les jeunes 
« latinos » et « noirs » à Auckland en Californie, Rios démontre comment la 
main punitive de l’état (le système pénitentiaire) et la main nutritive de l’état 
(le système éducatif) vont de pair pour criminaliser, stigmatiser et 
condamner les jeunes issus des quartiers. Ces institutions possèdent un 
répertoire juridique et un pouvoir de catégorisation qui leur permettent non 
seulement d’étiqueter ces jeunes comme étant à risque, mais également de 
les traiter comme tel. 
81 « Ich bi nid integriert, wird diskriminiert und red dennoch als hät ich 
Germanistik studiert » (Baba, et al., 2012a) 
  92 
C’est pourquoi sur la base de la théorie de Goffman, 
l’autodérision peut être comprise comme une stratégie, une 
manière de briser la glace. En ne le définissant pas comme un 
acte de soumission unidimensionnel, Willis permet de prolonger 
l’interprétation : la plaisanterie82 requiert de remettre en question 
les structures de pouvoir existantes tout en évitant de provoquer 
un malaise. Comme je l’ai mentionné précédemment, les 
personnes stigmatisées connaissent trop bien les règles du jeu. 
C’est pourquoi elles préfèrent peut-être s’éviter un travail 
supplémentaire et anticiper les piètres compétences 
interactionnelles de leurs homologues, comme une manière de 
dire : « c’est bon les enfants, je connais vos limites, pas de souci, 
maintenant s’il vous plait continuons ».  
À un moment, le public a commencé à réagir fortement 
à nos propos. On nous prenait pour des étrangers faisant 
des blagues sur les étrangers, alors que nous 
questionnions les préjugés communs sur les étrangers en 
les reproduisant. Ce que je veux dire : comment peux-tu 
réagir d’une autre manière lorsque quelqu’un essaye sans 
arrêt de t’offenser et continue de te traiter de connard ? 
Là, tu réagis juste en répondant « Okay mec, je t’ai eu ». 
(Entretient avec Ensy, février 2015). 
Dans une strophe, Baba Uslender envoie un message qui 
déforme son autodérision ambiguë (« Certains Suisses auraient 
● 
82  Dans son travail sur la culture prolétaire anglais, Willis (1981, p. 29) 
souligne que plaisanter est une compétence informelle essentielle et 
rependue chez la majorité des enfants issus des classes populaires. Ils ne 
savent pas seulement gérer ces situations difficiles et/ou sans espoir : « Si 
tu es capable de plaisanter, si tu peux te moquer de toi, je veux dire de 
manière vraiment convaincante, cela te permet de te sortir de millions de 
choses […] Tu peux devenir complètement taré si tu ne plaisantes pas de 
temps en temps », dans le même temps « plaisanter leur permet 
également de se différentier et de tracer une frontière avec “eux“, les 
autres (on peut les faire rire, mais ils ne sont pas capables de nous faire 
rire). Plaisanter masque donc aussi une manière subversive et ironique de 
questionner le régime d’autorité, en évitant une confrontation ouverte. 
Comment pourrait-on punir quelqu’un pour avoir seulement plaisanté ? 
  93 
bien besoin de prendre une douche froide, car pour eux le 
racisme est un besoin, comme pour nous le fait de traîner à la 
gare »83). À travers ces lignes, il pointe à la fois l’attitude raciste 
dominante dans la population et les préjugées sur le 
comportement habituel des jeunes hommes issu de la seconde 
génération. Les membres d’Uslender Production savent où 
porter leurs coups. L’« autodérision », ce n’est pas uniquement se 
moquer de soi, mais également des autres qui sont « comme 
soi ». Par principe, ils refusent de trancher sur la nature, ironique 
ou sérieuse, de leurs propos, reproduisant ainsi l’hégémonie du 
« spectacle de l’autre ». L’autodérision pousse son public sur une 
pente glissante. Elle ne produit pas uniquement un amusement 
inoffensif. Les artistes ouvrent un espace d’ambigüité et amènent 
l’audience à réagir.  
« GENTRIFICATION MUSICALE » 
Le succès de la musique d’Uslender Production aussi bien sur les 
réseaux sociaux que dans les médias établis est très 
impressionnant. Par ailleurs, au printemps 2013, leur album 
« Zrugg in Summer » (de retour en été), produit et distribué par 
le collectif lui-même, s’installa au quatrième rang des charts 
suisses. Ils gagnèrent également de nombreux prix : par exemple 
le prix du public pour le meilleur clip suisse 2013 au festival 
M4music avec la vidéo de « Würsch sie » (souhaitez-vous) 
produite par Harris Dubica ; ou encore Baba Uslender et son 
frère Soldi furent récompensés par le Kickass-Award de la radio 
3Fach après avoir reçu la majorité des votes du public. Toutefois, 
leur musique ne réussit à pénétrer l’industrie musicale helvétique 
qu’au mieux de manière marginale. Le collectif ne fut en effet 
que peu inclus dans la programmation quotidienne des radios et 
ne reçut aucune invitation de la part des festivals majeurs de 
● 
83 « Manchi Schwiizer bruche e kalti Duschi, den für sie Rassismus isch ein 
muss wie für uns e Banhofsrundi » (Baba, et al., 2012c). 
  94 
Suisse allemande comme l’Openair Frauenfeld, Openair St. 
Gallen ou le Bad Bonn Kilbi.  
Les membres du collectif eux-mêmes restèrent frustrés par les 
raisons avancées par les principales radios commerciales pour 
justifier leur choix (Preite, 2016, p. 388). On leur répondit que 
leur audience n’était pas suffisamment importante. Ou bien, les 
programmateurs ne programmèrent que leurs titres les plus 
drôles comme la « Chanson des embouteillages » (Stausong), 
laissant de côté les morceaux les plus critiques et tranchants (« Ta 
qi Nonen » ou « F.k your mother »). Les membres du collectif ne 
trouvèrent qu’une explication à ce rejet partiel : « La Suisse n’est 
pas prête pour des créatifs issus de la migration » (entretient avec 
Ensy, février 2015). Malgré leur succès public impressionnant – 
tous leurs prix furent le résultat d’un vote du public ou 
directement des ventes, jamais d’un vote d’un jury – ils avaient 
échoué, selon leurs propres dires, à se faire une place dans l’ordre 
culturel et musical établi.  
Ces ambivalences et ces contradictions nous rappellent 
combien le fait de se produire en public peut être vu comme un 
privilège contesté au sein de la scène musicale suisse. Il serait 
trop simple de considérer Baba Uslender et Uslender Production 
comme une mode qui tôt ou tard devait se terminer. Cela est 
d’autant plus le cas lorsqu’on considère la position paradoxale 
dans laquelle se trouve un candidat à l’ascension sociale dans un 
monde de l’art : il se doit d’acquérir un certain capital culturel 
pour accéder aux espaces légitimes et ce sont justement ces 
efforts qui le stigmatisent comme un arriviste, délégitimé par sa 
« bonne volonté culturelle » (Bourdieu, 2007). Cependant, c’est 
peut-être exactement cette position d’outsider de Baba Uslander 
qui permet à d’autres de récolter les fruits qu’Uslender et son 
collectif ont semés. Le fait de légèrement transformer leurs 
discours habituels (sur les jeunes au passé migratoire ou sur les 
rappeurs) a permis aux journalistes culturels établis et aux 
promoteurs reconnus (autant qu’à l’auteur de ce chapitre) de 
renforcer leur position. Une touche d’hérésie peut être 
bienvenue… un hérétique en personne l’est moins. 
  95 
Pour ces raisons, il me semble donc que l’on peut 
comprendre ces dynamiques de réception, de (re-)interprétation 
et d’occupation symbolique de Baba Uslender comme une forme 
de « gentrification musicale » (Dyndahl, Karlsen, et al., 2016). 
Développé comme une adaptation du concept de 
l’embourgeoisement utilisé en sociologie urbaine pour analyser le 
champ artistique, ce terme décrit les dynamiques déséquilibrées 
d’appropriation symbolique et matérielle. Pour ce que l’on 
appelle les cultures ou les musiques « populaires », ce processus 
d’incarne notamment par leur institutionnalisation scolaire et 
académique qui contribue non seulement à exclure les musiciens 
d’origines ainsi que leurs audiences, mais provoque également 
une course au profit parmi les membres d’une nouvelle élite 
émergente ; dans ce cas, les enseignants dans les conservatoires et 
leurs étudiantes.  
Adapté aux cas de Baba Uslender, ce concept nous permet de 
mieux saisir comment en fin de compte ce qu’a été formulé par 
des « jeunes à risque » comme une conquête d’un pouvoir d’agir 
est accaparée par des journalistes, des promoteurs et des 
académiques appartenant à une élite (émergente). À cet égard ce 
n’est peut-être pas par hasard que Baba Uslender n’attendait pas 
beaucoup grand-chose (pour ne pas dire presque rien) de mon 
intérêt scientifique pour sa musique. Néanmoins, il accepta de 
discuter avec « Einstein ». Peut-être faudrait-il simplement lui 
rendre l’appareil ? 
CONCLUSION 
Ce chapitre traite de Baba Uslender, un jeune rappeur, comme 
un exemple de production culturelle de jeunes secondos jouant 
avec leur image d’étranger ou de migrant. Même si Baba 
Uslender et son collectif ne représentent qu’un segment du 
champ musical Suisse, analyser leur musique est néanmoins une 
manière de mieux comprendre le fonctionnement du champ 
dans son ensemble. Pour ce faire, ce chapitre repose sur une 
enquête de terrain menée à partir des observations en ligne et 
  96 
d’entretiens et propose de combiner l’approche des cultural studies 
de Paul Willis (1978, 1981) avec la théorie des champs de Pierre 
Bourdieu (1992, 1993). En résumé, ce chapitre met en évidence 
trois résultats principaux. 
En premier lieu, la production et réception en ligne de Baba 
Uslender prennent la forme d’une conquête d’une puissance 
d’action (empowerment) de ces jeunes issus de la migration et trop 
souvent simplement étiquetés comme des « jeunes à risque ». À 
l’opposé de ce discours, le cas Baba Uslender illustre ce qui peut 
aussi arriver, lorsque ces jeunes se saisissent des réseaux sociaux 
pour s’exprimer et diffuser leur propre production artistique, 
participant ainsi à réinventer la musique. 
Ensuite, le succès de Baba Uslender se caractérise par une 
créativité nourrie par l’autodérision, l’absurdité et le sérieux. Ce 
mélange correspond à ce qu’on peut appeler le « spectacle de 
l’autre » (Hall 1997). Autrement dit, et à partir de Goffman 
(2014) et de Willis (1981), on peut comprendre cette production 
comme une stratégie d’appropriation des stigmates que portent 
ces « jeunes issus de l’immigration », « à risque ».  
Pour finir, en tant que nouvel entrant, Baba Uslender est 
réinterprété de différentes manières par les autres acteurs du 
champ musical et culturel suisse. Si sa musique a fait beaucoup 
parler d’elle, elle reste peu diffusée, par exemple sur les radios 
commerciales. Cette réalité rappelle ce que Dyndahl, Karlsen, 
Nielsen et Skarberg (2016) ont analysé comme une 
« gentrification musicale ». À cet égard, ce chapitre décrit 
également une forme d’embourgeoisement des musiques populaires 
et dans ce cas du rap. Pour autant, il nous reste encore à mieux 
comprendre les logiques qui nourrissent ce processus 
d’embourgeoisement. 
  97 
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AJGo, (consulté le 23 août 2017). 
 
  101 
VIES MUSICIENNES : 
PORTRAIT DES MUSICIEN.NE.S ORDINAIRES EN 
SUISSE ROMANDE 
par Marc Perrenoud et Pierre Bataille 
Si la perspective culturaliste connaît un succès mérité dans 
l’approche des musiques actuelles en Suisse (comme en 
témoignent plusieurs chapitres de cet ouvrage), on en sait encore 
très peu sur les caractéristiques sociales des musicien.ne.s qui 
peuplent les scènes du pays, sur le déroulement de leurs carrières 
et sur la structure du groupe professionnel qu’ils/elles 
composent. 
Le présent texte vise à dresser un premier bilan de l’enquête 
Musicians LIVES et à en exposer les principaux résultats sous la 
forme d’un « portrait sociologique » des musicien.ne.s ordinaires 
en Suisse romande. Élaboré par Marc Perrenoud en 2011-2012, 
le projet Musicians LIVES s’est développé à l’Université de 
Lausanne en interne au PRN LIVES84 à partir de 2012 sous 
notre responsabilité commune, associant jusqu’à sept personnes 
en simultané pour le travail d’enquête de terrain et de traitement 
● 
84 Cette publication a bénéficié du soutien du Pôle de recherche national 
LIVES – Surmonter la vulnérabilité : Perspective du parcours de vie, 
financé par le Fonds national suisse (numéro de subside : 51NF40-
160590). Les auteurs remercient le Fonds national suisse de la recherche 
scientifique de son aide financière. L’enquête Musicians LIVES a été 
élaborée par Marc Perrenoud dans le cadre d’un groupe de recherche en 
sociologie du travail interne au PRN LIVES et dirigé par Nicky Le 
Feuvre, qu’elle en soit remerciée. 
  102 
des données85. Ce projet a été pensé comme un prolongement 
des recherches ethnographiques menées en France entre 1997 et 
2005 par Perrenoud alors qu’il était à la fois musicien « faisant le 
métier » à la contrebasse et/ou la basse électrique dans de 
nombreuses formations (plus de six cents prestations en public, 
autant de répétitions, quelques albums et tournées, dans des 
styles allant du jazz manouche à l’électro-noise) et étudiant puis 
doctorant en anthropologie sociale (Perrenoud, 2007). Les 
principaux résultats de l’enquête ethnographique en France ont 
servi de base pour s’intéresser aux « musicien.ne.s ordinaires » en 
Suisse : ceux, ni riches ni célèbres, qui peuplent les degrés 
inférieurs de la pyramide professionnelle en étant à la fois les 
moins visibles et les plus nombreux.  
Après avoir rapidement présenté la méthodologie de 
l’enquête, nous examinerons d’abord les principales 
caractéristiques de notre population dans son rapport au travail 
et à l’emploi, avant de montrer comment se dégagent trois 
grands types de carrières musicales. Nous aborderons enfin les 
propriétés sociales distinctives, celles qui « font la différence » et 
(pré)disposent plus ou moins à suivre tel ou tel type de carrières. 
METHODOLOGIE DE L’ENQUETE 
L’enquête Musicians LIVES s’est déroulée en deux phases 
principales. 
Phase 1. En 2012-2013, nous avons pu recruter deux 
personnes en Master avec un statut d’assistant-étudiant. Pendant 
un an, elles ont mené parallèlement à nous des observations de 
terrain et des entretiens exploratoires en Suisse romande qui ont 
alimenté le travail de pré-enquête. Leurs deux mémoires ont 
porté sur les carrières des femmes musiciennes pour l’un 
● 
85  Nous souhaitons remercier chaleureusement les personnes ayant 
participé à l’enquête : Karen Brändle, Jérôme Chapuis, Sara Cordero, 
Frédérique Leresche et Noémie Merçay.  
  103 
(Chapuis, 2014) et pour l’autre sur la perception des carrières de 
musicien.ne.s ordinaires par leur entourage familial (Leresche, 
2014). En parallèle, nous avons mené des observations liées à 
nos propres activités musicales : Bataille, guitariste, a enregistré 
un album en studio à Genève et joué dans différentes salles avec 
son groupe de rock indie ; Perrenoud a joué et enregistré dans 
différents lieux, bars, salles de concert et festivals avec un trio de 
musique improvisée radicale. Cette première phase nous a permis 
de dégager des indicateurs pertinents qui ont été mobilisés dans 
la phase 2.  
Phase 2. En 2013-2014, nous avons recruté trois personnes 
supplémentaires qui ont grandement contribué à la deuxième 
phase de l’enquête. Désirant aller au-delà du type de résultats que 
l’enquête ethnographique de Perrenoud en France avait pu 
produire, nous avons souhaité mettre en place une deuxième 
phase plus quantitative, ou du moins relevant des méthodes 
mixtes. Considérant que notre population d’enquête n’était 
inscrite sur aucun registre, que la définition même de ce qu’est 
un « musicien » faisait partie des aspects à étudier et que les 
enquêtes statistiques existantes sur la population suisse (type 
Panel suisse des ménages) avaient un niveau de granularité 
inadapté à la saisie de données concernant un groupe 
professionnel marginal, nous avons opté pour un 
échantillonnage « par réseau », en demandant à chaque musicien 
rencontré de nous dire avec qui il avait collaboré (i.e. joué en 
étant rémunéré) au cours des douze mois précédents. En 
rencontrant deux à trois personnes parmi les musicien.ne.s 
cité.e.s et en reproduisant l’opération, nous avons pu dresser une 
cartographie du réseau romand comportant plus de 1200 
individus (voir plus loin) parmi lesquels 120 ont été rencontrés 
jusqu’au printemps 2015. Nous avons élaboré un protocole 
d’enquête mixte basé sur l’usage de calendriers de vie (Barbeiro 
et Spini, 2015), supports visuels sur lesquels l’enquêté et 
l’enquêteur notaient ensemble pendant l’entretien toute une série 
d’éléments relatifs à la carrière du musicien et qui, combinés à un 
bref questionnaire sociodémographique et une grille d’analyse 
des revenus (voir plus loin), nous ont permis de produire des 
  104 
données standardisées dans le cadre d’entretiens directifs 
enregistrés. Les données à la fois quantitatives et qualitatives 
ainsi recueillies sont d’une richesse et d’une précision 
exceptionnelles concernant ce type de population. 
Précisons que chacune des personnes recrutées pour enquêter 
avec nous possédait, outre ses compétences en sciences sociales, 
une bonne connaissance du milieu musical suisse romand soit 
par sa propre activité musicale, soit par son activité de 
programmation de groupes dans des lieux de musique (un bar 
musical à Genève et une salle de concert dans le Jura). Cet 
élément a probablement été déterminant dans la réussite de notre 
projet dans la mesure où il a permis d’instaurer une relation 
d’enquête fructueuse entre enquêteurs et enquêtés dans le cadre 
d’un protocole méthodologique pourtant assez lourd, comme on 
vient de le voir. 
CARACTERISTIQUES DE LA POPULATION : 
FORMATION, EMPLOI, REVENUS  
Nous allons montrer ici comment la population enquêtée se 
distingue de la moyenne suisse dans trois domaines liés au 
travail : la durée de formation, la stabilité de l’emploi et le niveau 
de revenu. Pour ce faire, nous utiliserons notamment les données 
de l’enquête suisse sur la population active (ESPA) publiée en 
2016 (OFS, 2016b). 
DES MUSICIEN.NE.S BIEN FORMES 
Les musicien.ne.s que nous avons rencontrés ont souvent un 
niveau de qualification élevé, comme l’indique le tableau suivant 
(tableau 4) présentant le plus haut diplôme obtenu dans la 
population Musicians LIVES et dans celle de l’enquête suisse sur 
la population active (ESPA) de 2013. 
  105 
Tableau 4 : Niveau de formation des musicien.ne.s au regard de 
la population active en 2013. 
 Musicians LIVES ESPA (2013) 
Ecole obligatoire 8 13 
Certificat fédéral de capacité (CFC) 13 34 
Maturité gymnasiale ou professionnelle 20 11 
Hautes écoles spécialisées et université 59 36 
Autres et NR - 6 
Lecture : Au sein de notre échantillon, 59% des personnes interrogées sont diplômées d’une 
haute école spécialisée ou de l’université. 
Alors que la population suisse est globalement répartie en deux 
groupes équivalents à environ 50% en dessous de la maturité et 
50% au niveau de la maturité gymnasiale ou professionnelle et 
au-dessus (HES et université), les musicien.ne.s enquêté.e.s sont 
environ 80% à atteindre ou dépasser la maturité. À chaque 
extrémité du spectre, l’écart est très important puisque la 
proportion de musicien.ne.s n’ayant pas dépassé l’école 
obligatoire est presque deux fois moins importante que dans la 
population active et que, à l’inverse, les musicien.ne.s sont près 
de 60% à avoir fréquenté une haute école ou une université. 
Cette donnée est importante, car, même si l’exercice du métier 
de musicien ne requiert aucune « licence » (Hughes, 1996) ou 
diplôme professionnel (en dehors des postes de salarié 
permanent des orchestres « classiques »), on voit que la 
population des musicien.ne.s que nous avons rencontrée dispose 
d’un niveau de formation élevé, ce qui tendrait à la placer parmi 
les groupes professionnels hautement qualifiés. On observera en 
outre la tendance à la formalisation et à l’institutionnalisation de 
l’offre de formation musicale, via notamment la transformation 
des conservatoires de musique en hautes écoles de musique 
(HEMU) et l’inclusion de certaines écoles (l’École de jazz et 
musiques actuelles – EJMA – à Lausanne par exemple) à ce 
cursus académisé. 
  106 
UN EMPLOI MUSICAL PRECAIRE ET FRAGMENTE  
Le travail musical peut prendre des formes très diverses, allant 
des prestations sur scène à l’enseignement en passant par des 
sessions de studio ou des commandes de composition, nous y 
reviendrons dans la partie suivante de ce texte. Toutefois, à ces 
différentes activités correspondent des statuts d’emploi différents 
puisque les musicien.ne.s peuvent être salariés permanents, 
salariés intermittents, travailleurs indépendants, voire cumuler 
certains de ces statuts. 
Il existe en Suisse un dispositif d’assurance-chômage 
spécifique destiné aux salariés intermittents des mondes du 
spectacle et de la presse (journalistes notamment). Toutefois les 
musicien.ne.s ne sont que très rarement en mesure de bénéficier 
de ce régime spécifique dans la mesure où l’exercice de leur 
activité implique un emploi trop fragmenté. Contrairement aux 
danseurs et comédiens qui connaissent des périodes d’emploi de 
plusieurs jours d’affilée à l’occasion de créations dans des 
théâtres ou des salles de spectacle subventionnées, les 
musicien.ne.s ne sont jamais payés pour répéter (ils le font en 
général dans un local privé) et ils/elles accumulent des 
engagements professionnels ponctuels, un soir dans un café-
concert, quelques jours plus tard un autre soir dans un festival ou 
pour animer une soirée privée, etc. En conséquence, ils sont 
rares à bénéficier du régime spécifique d’assurance-chômage (que 
d’aucuns appellent « l’intermittence suisse » par référence au 
système français d’indemnisation du chômage des salariés 
intermittents du spectacle) : moins de 5% de la population 
étudiée émarge au « chômage des artistes » en tant que salariés 
intermittents. Les autres, soit l’écrasante majorité, ont un statut 
d’indépendant, parfois combiné avec un salariat permanent, mais 
avec un taux d’occupation très faible, par exemple 20% pour une 
journée de cours hebdomadaire dans une école de musique. 
Cette situation est le signe d’une forme d’indétermination de 
l’inscription sociale du groupe professionnel dans son ensemble. 
En effet, si on peut considérer avec Hughes (1996) qu’un métier 
  107 
est un faisceau de tâches, il est fréquent pour les musicien.ne.s 
ordinaires d’avoir affaire à des faisceaux de tâches radicalement 
distincts, tant la diversification de l’activité professionnelle est 
monnaie courante. On peut distinguer avec Jeanine Rannou et 
Ionela Roharik trois grandes modalités de la diversification de 
l’activité (Rannou et Roharik, 2006 ; Bureau, Perrenoud, et al., 
2009) : la « polyvalence » qui consiste à exercer un même métier 
selon différentes modalités (par exemple un musicien interprète 
qui joue différents styles musicaux, éventuellement sur différents 
instruments, qui multiplie les groupes, etc.), la « pluriactivité » qui 
consiste à exercer différents métiers dans le même espace 
professionnel (par exemple un musicien qui travaille tour à tour 
comme compositeur, interprète et enseignant), et la 
« multiactivité » qui combine un emploi hors des mondes de la 
musique avec le travail musical (guitariste et comptable par 
exemple). 
Ces différentes formes de diversification de l’activité 
professionnelle sont très présentes chez les musicien.ne.s 
enquêté.e.s. Cette diversification est le signe d’une précarité 
structurelle face à laquelle on multiplie les ancrages pour 
renforcer sa stabilité professionnelle et pérenniser sa carrière. La 
polyvalence est une situation normale pour la plupart des 
musicien.ne.s qui sont à même de jouer des styles musicaux très 
différents, dans divers projets, pour multiplier les engagements, à 
la manière de ce qui avait pu être montré concernant les 
musicien.ne.s ordinaires en France (Perrenoud, 2007). Mais la 
pluriactivité est, elle aussi, très présente, notamment dans la 
formule associant le travail d’interprète et l’enseignement musical 
qui concerne 54% de nos enquêtés. Ce point est particulièrement 
intéressant à relever puisque les enquêtés qui enseignent, même 
avec un taux d’occupation important (parfois 60%, voire 80%) 
ne voient pas pour autant leur légitimité d’interprète ni leur 
identité de musicien remise en cause : ils/elles sont des 
musicien.ne.s à part entière, bien intégrés au réseau 
professionnel, contrairement à ce que l’enquête ethnographique 
avait pu montrer il y a quinze ans en France, où l’ouverture des 
droits à l’indemnisation des salariés intermittents du spectacle est 
  108 
conditionnée à la déclaration d’une activité sur scène 
suffisamment importante, ce qui conduit à distinguer clairement 
les « musicien.ne.s » des « profs de musique ». La multiactivité, 
quant à elle, atteint une prévalence de 40% dans la population 
enquêtée, ce qui signifie que quatre musicien.ne.s sur dix ont un 
emploi hors-musique. Cette dernière information semble 
indiquer une grande plasticité de l’identité de musicien et 
confirmer l’existence d’un continuum entre « amateurisme » et 
« professionnalisme » encore plus nettement qu’en France 
(Perrenoud, 2007). Selon les cas, cette activité hors musique peut 
représenter 10% à 90% des revenus des enquêtés. 
DE FAIBLES NIVEAUX DE REVENU 
À l’inverse de leur niveau de formation, le niveau de revenu des 
musicien.ne.s enquêté.e.s est assez nettement en dessous de ce 
que l’on trouve dans l’ensemble de la population en Suisse 
comme le montre le tableau suivant concernant les revenus 
mensuels (tableau 5). 
Tableau 5 : Niveau de revenu des musicien.ne.s au regard de la 
population active en 2013 
 Musicians LIVES ESPA (2013) 
Premier quartile  CHF 2001-3000 CHF 2001-3000 
Deuxième quartile (Médiane) CHF 3001-4000 CHF 4001-5000 
Troisième quartile  CHF 4001-5000 CHF 5001-6000 
Lecture : 50% des personnes interrogées gagnent 3000.- CHF ou plus. 
On constate que les revenus sont nettement moins élevés 
parmi les enquêtés de Musicians LIVES que dans l’ensemble de la 
population puisque la moitié de nos enquêtés gagne 3000 à 4000 
francs par mois ou moins (tous types revenus musicaux et non 
musicaux compris) alors que la mesure pour l’ESPA donne une 
médiane plus élevée de 1000 francs. De même un quart des 
musicien.ne.s seulement se situe dans la tranche de plus de 4000 
francs par mois (troisième quartile). Si quelques individus (soit 
  109 
particulièrement bien insérés dans le monde professionnel, soit 
ayant un emploi hors musique à temps partiel bien rémunéré) 
gagnent plus de 5000 francs par mois, cette tranche représente le 
seuil au-dessus duquel se situe un quart de la population active 
en Suisse86.  
Avec un revenu mensuel médian de 1000 francs inférieur à 
celui du reste de la population active et un niveau moyen de 
diplôme nettement supérieur, la population des musicien.ne.s en 
Suisse romande vit une situation de précarité marquée par la 
fragmentation de l’emploi et du revenu. En effet, les formes 
d’emploi étant diverses, les sources de revenus le sont aussi et 
c’est par l’analyse de la composition des faisceaux de revenus que 
nous avons le plus efficacement saisi la diversité des figures 
professionnelles et des types de carrières des musicien.ne.s 
ordinaires. 
FAÇONS D’ETRE MUSICIEN :  
TROIS GRANDS TYPES DE CARRIERES 
Un outil nous a été particulièrement utile pour distinguer les 
grands types de carrières qui structurent l’espace professionnel : 
l’analyse de la composition des revenus musicaux. Nous avons 
repris la typologie élaborée par les chercheurs de l’organisation 
Future of Music Coalition (FOMC) à l’occasion d’une enquête en 
ligne menée entre janvier 2012 et décembre 201487. À l’instar de 
● 
86  Les valeurs proposées lors de l’enquête Musicians LIVES 
comportaient quatre tranches : moins de 2000.- par mois, 2001 à 
3000, 3001 à 4000 et plus de 4001.- par mois. La tranche 3001-4000 
rassemble la plus grande partie de la population ce qui explique 
qu’elle constitue à la fois la médiane et qu’elle agrège la population au-
dessus des 25% les plus pauvres et en dessous des 25% les plus 
riches. 
87 Cette enquête a touché plus de 5000 répondants, malheureusement sans 
aucune maîtrise de la représentativité de l’échantillon. Pour plus 
d’informations, voir : http://money.futureofmusic.org/, (consulté de 
26 août 2017). 
  110 
nos collègues américains et en accord avec eux, nous avons 
utilisé les huit catégories suivantes : cachets (rémunération à la 
prestation soit comme salarié intermittent soit comme 
indépendant), salariat permanent (autre qu’enseignement, par 
exemple un 40% comme salarié d’une association culturelle), 
enseignement (en école ou en cours particuliers), sessions pour autrui 
(accompagnement occasionnel de tiers sur scène ou en studio), 
composition et arrangement (commandes et/ou droits d’auteur et de 
diffusion), vente d’enregistrements (physiques ou numériques), vente de 
produits dérivés (T-shirts, affiches, etc.) et autres. À cette liste nous 
avons ajouté deux catégories de revenus. La première, le chômage 
des artistes (qui n’existe pas aux USA) et la deuxième, les revenus 
liés aux tâches techniques (ingénieur du son, lumières…) étant 
donné que ce type d’activité rémunéré était occasionnellement 
mentionné dans le faisceau de tâches de certains musicos français 
au début des années 2000 (Perrenoud 2007).  
Lors de chaque entretien nous avons demandé à l’enquêté.e 
de remplir un diagramme dans lequel apparaissaient les dix 
catégories de revenu musical pour faire apparaître la composition 
de son faisceau de revenus et les valeurs relatives des différents 
revenus. Si l’agrégation des diagrammes remplis par tous nos 
enquêtés produit un faisceau de revenus « moyens » où les cachets 
et l’enseignement arrivent nettement au premier rang des sources de 
revenus, il est particulièrement intéressant d’opérer des 
regroupements par clusterisation. 
Grâce aux analyses représentées sur la figure 1, On voit alors 
apparaître très clairement trois grands types de carrières, trois 
façons d’être musicien. 
  111 
 
Figure 1 : Trois clusters de revenus musicaux 
 
Lecture : Pour plus de la moitié des musicien.ne.s regroupés dans le cluster 1 (clust1), les 
cachets représentent plus de 90% des revenus musicaux. 
ARTISANAT MUSICIEN 
Un premier groupe qui rassemble un peu plus du tiers des 
enquêté.e.s (35% - clust1) émerge très clairement pour dessiner 
une première modalité d’exercice du métier de musicien, 
modalité principalement marquée par le jeu en public. En effet, 
les membres de ce groupe tirent en moyenne près de 90% de 
leurs revenus des prestations en public payées au cachet, en 
général avec un statut d’indépendant. Les autres sources de 
revenus sont marginales, l’enseignement musical n’étant pas 
pratiqué par tous les membres du groupe, loin s’en faut, et ne 
comptant que pour 3% en moyenne dans le revenu de ces 
musicien.ne.s qui jouent entre cent et deux cents fois par an en 
public.  
  112 
Par ailleurs, parmi les renseignements que nous demandions à 
nos enquêtés, figurait pour chaque collectif de travail (groupe, 
orchestre, etc.) dans lequel ils avaient joué le « type de 
répertoire ». Cette typologie n’est pas basée sur le style musical 
(que nous avons renseigné par ailleurs), mais sur le fait de jouer 
soit des compositions originales, soit des reprises à l’identique de 
l’original enregistré, soit enfin des reprises arrangées, des morceaux 
préexistants, mais réappropriés par les interprètes qui en donnent 
une version singulière88. Les analyses de réseau que nous avons 
pu mener par ailleurs montrent que cette différenciation par le 
degré de singularité et l’accès à la création originale est plus 
discriminante que le style musical, tant il est possible de jouer, 
par exemple, du « rock » ou du « jazz » dans des formes très 
diverses et renvoyant à des postures très différentes selon que 
l’on fait du rockabilly ou des classiques du cool jazz pour animer 
des mariages ou bien que l’on joue du hardcore ou du free dans 
des squats (Perrenoud, 2006, 2013).  
Si l’on s’intéresse au type de répertoire joué par les 
musicien.ne.s qui peuplent ce premier cluster, on constate qu’ils 
jouent plus souvent que les autres des reprises ou éventuellement 
des reprises arrangées. Pour la plupart des musicien.ne.s du 
premier groupe, il s’agit de jouer aussi régulièrement que possible 
en public, en vendant une prestation de service impliquant 
d’interpréter un répertoire préexistant et des morceaux connus 
du public, au mieux pour jouer dans un bar musical ou une fête 
de village, souvent pour animer des fêtes privées (anniversaires, 
mariages, enterrement de vie de garçon ou de jeune fille) et au 
pire pour fournir un fond sonore agréable ne gênant pas le 
déroulement d’un événement dans lequel la présence de musique 
live n’est qu’un élément parmi d’autres, apportant une plus-value 
symbolique, mais sans que personne n’écoute véritablement (ni 
n’applaudisse, évidemment).  
● 
88 Nous avons aussi inclus dans ce dernier idéal-type les « standards » 
du jazz (périodes swing, bop et hard-bop). 
  113 
Parmi les membres de ce premier cluster que nous avons 
désignés comme des « artisans de la musique », on trouve par 
exemple Roberto, 43 ans en 2014, chanteur d’origine italienne 
vivant à Genève depuis quinze ans. Il a commencé sa carrière 
dans le nord de l’Italie au début des années 1990 comme 
« chanteur de charme » (« un peu crooner » dit-il en entretien), a 
enregistré un album, mais dit s’être fait « arnaquer » par ses 
producteurs. Il est ensuite venu s’installer en Suisse, intégrant un 
quartet vocal zürichois avec lequel il connaît un certain succès, 
jouant un répertoire jazz, soul et pop à la radio et dans des salles 
de concert parfois assez importantes. Cette expérience a duré 
quelques années et lui a permis de se faire connaître par 
différents employeurs (organisateurs de concerts, mais aussi 
réalisateurs radio). Suite à l’arrêt de ce quartet, il s’installe à 
Genève et sous divers pseudonymes (Rob, Robson, Bobby 
Tennessee, Memphis Bert) monte différents projets en solo, en 
s’accompagnant à la guitare avec parfois un play-back 
instrumental, principalement autour du répertoire country et 
rock’n’roll de Elvis Presley et Johnny Cash. Depuis plus de dix 
ans, il accumule les engagements pour des animations diverses 
(nous l’avons rencontré un samedi matin alors qu’il jouait sur 
une petite scène en bordure d’un marché lausannois, engagé par 
le service culturel de la commune), ainsi que les emplois à la 
radio pour enregistrer des voix, principalement pour la publicité. 
ENSEIGNEMENT MUSICAL  
Le deuxième grand profil de musicien qui apparaît dans les 
clusters (clust2) regroupe un peu plus de 39% de la population. Il 
est nettement marqué par une source principale de revenu 
musical, l’enseignement, et une source secondaire, les cachets. 
Nous avons expliqué dans la première partie de ce texte que 
l’enseignement musical était intégré au faisceau de tâches qui 
constitue le métier de musicien en Suisse, et de fait, comme le 
montrent les données présentées dans la figure ci-dessus (figure 
1), si le groupe des enseignants tire la majorité de ses revenus de 
  114 
l’activité pédagogique (un peu plus de 60% en moyenne), ses 
membres sont bien actifs sur scène (plus de 25% du revenu en 
moyenne). Les enseignants font bien partie du réseau 
professionnel, ils/elles sont des musicien.ne.s à part entière dans 
un pays où la faible taille du territoire et la fragmentation 
géographique importante (entre aires linguistiques et entre 
cantons) réduit les possibilités de « tourner » suffisamment pour 
vivre de la scène, à moins de développer une activité proche du 
service d’animation à la manière des artisans. En revanche, la 
Suisse compte un grand nombre de musicien.ne.s strictement 
amateurs puisque près de 20% des habitants de plus de 15 ans 
déclarent pratiquer un instrument (OFS, 2016a), ce qui constitue 
une source d’emploi importante pour les musicien.ne.s 
enseignante.es. 
Parmi eux, nous avons rencontré Henri, 55 ans en 2014, 
pianiste vivant dans un des principaux bourgs du Gros-de-Vaud, 
enseignant « depuis toujours » (dit-il en entretien) plusieurs jours 
entiers par semaine, dirigeant un chœur dans un village voisin et 
jouant régulièrement sur scène un répertoire allant de la musique 
classique au jazz moderne, en solo ou dans de petites formations 
(trio, quartet), une trentaine de fois dans l’année. Il dit jouer en 
public « pour le plaisir », mais il est un des pianistes les plus 
reconnus du canton de Vaud, dont les qualités d’instrumentistes 
sont respectées et appréciées par nombre de nos enquêtés. En 
outre, il collabore régulièrement sur scène avec des musicien.ne.s 
qui composent, que ce soit dans un style classique-contemporain 
ou jazz, des musiciens reconnus comme des créateurs et qui 
peuplent le troisième cluster. 
CREATION ARTISTIQUE  
Le troisième grand type de carrière (clust3) qui cette fois 
regroupe seulement un peu plus du quart de la population (29%) 
est caractérisé par la nature très composite des revenus. À la 
différence des deux types précédents, ce n’est pas une ou deux 
sources de revenus qui apparaissent exclusivement dans ce profil, 
  115 
mais bien cinq ou six. On a ici affaire à des musicien.ne.s qui 
cumulent des cachets (26% des revenus en moyenne), parfois un 
peu d’enseignement (en moyenne 10% des revenus), mais aussi et 
c’est le seul type où cela apparaît de manière significative, parfois 
des postes de salarié permanent dans des associations culturelles 
(en moyenne 15% des revenus), des activités rémunérées de 
sessions (principalement en studio, environ 10% des revenus) et 
surtout des activités rémunérées de composition (commande ou 
droits d’auteur et de diffusion, 15% en moyenne) ainsi que des 
revenus liés à la vente d’enregistrements physiques ou digitalisés (5% 
en moyenne). 
Un premier élément à noter : alors qu’un discours médiatique 
très répandu traite de la « crise de l’économie de la musique » en 
déplorant la réduction drastique des revenus liés au marché du 
disque, on ne peut que constater que ces problèmes ne 
concernent en fait qu’une petite partie de la population des 
musicien.ne.s et que même au sein de ce groupe minoritaire, les 
revenus issus du « disque » restent relativement marginaux. La 
supposée « crise de la musique à l’ère du numérique » est donc 
surtout la crise de l’industrie discographique (maisons de disques, 
disquaires, distributeurs, etc.) et des artistes consacrés (avec leurs 
agents, managers, etc.). Ensuite, en s’intéressant au type de 
répertoire joué par les membres de ce troisième cluster, on 
trouve principalement des compositions originales, quel que soit 
le style musical. À l’opposé du premier groupe, celui des artisans, 
ce cluster rassemble des musicien.ne.s qui s’inscrivent dans une 
démarche de création singulière, celle-là même qui fonde la 
figure sociale de l’artiste depuis le 19ème siècle (Heinich, 1993). 
Enfin, ces musicien.ne.s artistes construisent une forme heureuse 
de pluriactivité : leur « métier » est en fait constitué d’un 
portefeuille d’activités qui se complètent. En témoigne l’exemple 
de Marie, cette percussionniste (38 ans en 2013), musicienne 
compositrice et interprète (musique contemporaine d’influence 
jazz et « savante »), enseignante un jour par semaine dans une 
institution prestigieuse, productrice d’une émission de télévision 
musicale et chroniqueuse dans une autre émission culturelle de 
grande écoute. Il s’agit là de cas où la transférabilité des capitaux 
  116 
d’un espace à l’autre joue à plein et où la singularité du musicien 
créateur est adossée à une multipositionnalité qui permet de 
combiner et de renforcer les formes de reconnaissance. 
Il existe donc des façons multiples d’exercer le métier de 
musicien, différemment situées sur une échelle de reconnaissance 
ou de légitimité culturelle. Les types de carrières, artisanale et 
artistique notamment, sont situés à chaque extrémité du spectre 
de la reconnaissance de la figure du créateur autonome 
(Bourdieu, 1992), inégalement placés dans la stratification des 
figures sociales du musicien.  
DISTINCTIONS DE GENRE ET D’ORIGINE SOCIALE : 
CE QUI « FAIT LA DIFFERENCE » 
Pour terminer ce chapitre, nous aborderons la question des 
caractéristiques distinctives, ou pour le dire autrement, de « ce 
qui fait la différence » entre nos enquêtés. Pour ce faire, nous 
activerons deux grandes variables indépendantes, le genre et la 
classe sociale d’origine, dont on sait combien elles influent sur les 
carrières dans tous les espaces professionnels. 
CARRIERES GENREES :  
LA DOMINATION MASCULINE PERDURE 
Au cours des entretiens, les femmes musiciennes que nous avons 
rencontrées ont souvent exprimé le sentiment d’être 
désavantagées sur le marché du travail à cause d’un machisme 
inhérent au milieu musical, mais aussi en raison d’une pression 
sociale relative à la supposée incompatibilité entre leur métier de 
musicienne et leur rôle de compagne (jalousie du conjoint) ou de 
mère (image de la « mauvaise mère » pas assez présente renvoyée 
par l’entourage). Ces problèmes classiques sont aujourd’hui bien 
documentés notamment dans la littérature francophone grâce 
aux travaux de Marie Buscatto et ceux de Hyacinthe Ravet 
(Buscatto, 2007 ; Ravet, 2011) qui ont montré combien il était 
  117 
difficile de bâtir une carrière pour les femmes dans le milieu 
musical. L’enquête Musicians LIVES permet de vérifier 
statistiquement que la situation en Suisse romande n’est pas 
meilleure qu’ailleurs puisque non seulement les femmes sont 
largement sous-représentées dans l’ensemble de la population 
interrogée (moins de 20% des individus interrogés et nommés 
dans le cadre des collaborations), mais en plus leur rapport au 
travail semble plus marqué par la précarité que celui des 
hommes. 
À partir de la typologie des répertoires présentés plus haut 
(reprises, reprises arrangées et compositions originales) et en retraçant le 
parcours de chaque enquêté grâce au calendrier de vie, nous 
avons pu reconstituer les carrières musicales de chaque individu 
en fonction du type de répertoire principalement joué d’année en 
année, en considérant, comme nous l’avons dit plus haut, que cet 
élément était particulièrement signifiant pour distinguer les 
« façons d’être musicien ». Pour chaque enquêté, en compilant 
les données relatives à chaque groupe auquel ils ou elles ont 
participé, nous avons donc pu reconstituer, année après année, le 
ou les « type(s) de répertoire » interprété(s). Un code couleur 
correspondant aux sept modalités89 permet ensuite de visualiser 
chaque parcours de vie individuel sous le rapport du type de 
répertoire. En agrégeant ces parcours individuels, en les 
ordonnant suivant leur plus ou moins grande similarité et en 
séparant les séquences des hommes et celles de femmes on 
constate une disparité étonnante (figure 2). 
● 
89  [Compositions uniquement], [Reprises arrangées uniquement], 
[Reprises uniquement], [Compositions et reprises arrangées], 
[Compositions et reprises], [Reprises et reprises arrangées], 
[Compositions, reprises arrangées et reprises] 
  118 
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  119 
Parmi les 100 hommes et les 20 femmes enquêtés, il apparaît 
nettement que les trajectoires inscrites clairement dans le registre 
de la création originale (ici en noir), correspondant donc à la 
figure du musicien artiste créateur, et celles construites exclusi-
vement sur un répertoire de reprises (en gris plus clair), corres-
pondant à la figure de l’artisan qui « fait le métier » selon 
l’expression consacrée (Perrenoud 2007), sont principalement 
distribuées chez les hommes. Inversement, les trajectoires des 
femmes sont principalement marquées par un « entre deux » où 
l’on joue à la fois (selon les projets et les engagements) des re-
prises, des reprises arrangées et des compositions, les trajectoires 
clairement inscrites dans le registre artistique ou artisanal étant 
plus rares. On identifie d’ailleurs nettement la trajectoire de Ma-
rie, citée plus haut, qui est une des seules femmes de l’échantillon 
à mener depuis le début une « carrière d’artiste » en jouant des 
compositions originales. Ainsi les femmes sont plus souvent que 
les hommes contraintes à « faire un peu de tout » (pour re-
prendre l’expression de l’une d’elles), ce qui témoigne d’une dif-
ficulté à habiter légitimement une des deux grandes figures so-
ciales archétypiques du musicien : l’artiste démiurge ou l’homme 
de métier90.  
(FRACTIONS DE) CLASSES D’ORIGINE :  
UN DETERMINISME SOCIAL EFFICACE  
Ce sont justement ces deux grandes figures, l’artisan et l’artiste, 
qui structurent la cartographie de l’espace professionnel comme 
on va le voir à présent. 
● 
90  Heureusement, le problème du sexisme dans le milieu musical et 
notamment dans les musiques actuelles est de plus en plus discuté et 
il fait l’objet d’initiatives intéressantes comme les « girl rock camps », 
ces stages de rock animés par des musiciennes et destinés à des filles 
de 10 à 16 ans qui se développent dans la plupart des pays 
occidentaux. 
  120 
Le graphe ci-dessous (figure 3) fait apparaître les individus 
cités au moins deux fois, par deux musiciens différents (n= 390) 
au cours de notre recherche, ce qui donne un schéma de réseau 
bien plus lisible que celui où apparaissent les 1200 individus 
mentionnés par les enquêtés au cours de l’enquête. 
Le graphe des collaborations musicales pour l’année 2013 au 
sein de notre population fait apparaître un réseau à une compo-
sante (tous les individus sont interconnectés) structuré autour de 
deux communautés principales (repérées grâce à un algorithme 
de spinglass), l’une à l’ouest du réseau (communauté 1), l’autre à 
l’est (communauté 2). Par la suite, nous distinguerons ces deux 
communautés par leur localisation (« ouest » pour la première et 
« est » pour la seconde). 
 
  121 
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  122 
Pour mettre en lumière les logiques qui participent à la 
structuration du réseau de collaboration autour de ces deux 
communautés, nous proposons d’analyser les profils respectifs 
des enquêtés qui y appartiennent (tableau 6) sous l’angle du type 
de dispositif de jeu arpenté au cours de l’année précédant 
l’enquête, du niveau de revenu tiré de l’activité musicale et de 
l’origine sociale (saisie grâce à la catégorie socioprofessionnelle 
du père des personnes interrogées). 
Tableau 6 : Composition des deux communautés du réseau de 
collaboration (% colonne). 
  Cluster « ouest » Cluster « est » 
Type de dispositif 1 fois animation 43 66 
 Jamais 57 34 
Revenu musical - de 2000 34 46 
 2000-3999 20 33 
 4000 et + 46 21 
CSP du père Agriculteur 7 6 
 Ouvrier 2 3 
 Art. ou comm. 18 29 
 Employé 9 19 
 Prof. inter. 20 13 
 Prof. intel. sup. 45 29 
 Chef d'ent. 0 1 
TOTAL (N)  55 67 
Lecture : 57% des musicien.ne.s du cluster « ouest » n’ont jamais joué dans un dispositif de 
type « animation » au cours de l’année écoulée. 
On constate que ces deux zones correspondent aux deux ar-
chétypes situés aux deux extrémités de l’espace professionnel : 
dans la partie « ouest », on joue plutôt des musicien.ne.s n’ayant 
jamais joué dans des dispositifs d’animation d’événements non 
musicaux, alors que c’est plus fréquemment le cas pour la com-
munauté « est ». Ce premier résultat laisse à penser que les « ar-
tistes » sont concentrés dans la partie « ouest » du réseau alors 
que les « artisans » ou « enseignants » se situent plus dans la par-
  123 
tie « est ». Cette partition correspond très largement aussi à celle 
des niveaux de revenus musicaux puisque dans la partie « ouest » 
du schéma les individus gagnent fréquemment plus de 4000 
francs par mois grâce à leurs seules activités musicales, ce qui est 
beaucoup plus rare dans la partie Nord-Est. Enfin, si l’on exa-
mine la profession du père (cette variable faisait partie du ques-
tionnaire rempli systématiquement en fin d’entretien), on cons-
tate un écart important entre les individus présents dans la partie 
« ouest » du graphe dont le père est issu des classes supérieures 
ou des fraction supérieures des classes moyennes (professions 
intellectuelles, cadres du privé, chefs d’entreprise, etc.) dans près 
de la moitié des cas et la partie Nord-Est où les origines sociales 
sont distribuées très différemment puisque les enfants 
d’employés et d’artisans-commerçants représentent 50% des 
individus interrogés. 
Ces résultats permettent de confirmer la persistance d’une 
partition des emplois et des styles de vie indexée sur l’origine 
sociale, contrairement à une idéologie libérale voulant que « tout 
devienne possible » dans une société « fluide » et faiblement 
régulée, où « chacun aurait sa chance » pour exprimer et 
monnayer son « talent », les mondes de l’art étant censés 
constituer un archétype et un laboratoire de ces mutations du 
rapport au travail (Boltanski et Chiapello 1999 ; Menger 2002). 
La classe sociale d’origine a toujours une influence déterminante 
sur le développement des carrières et si les musicien.ne.s sont 
rarement issu.e.s du sous-prolétariat (difficulté d’approcher les 
espaces de formation et d’acquérir un instrument, difficulté 
même d’envisager ce type de carrière, cf. Bourdieu, 1979) ni de la 
grande bourgeoisie ou de l’aristocratie (où la carrière musicale en 
dehors des orchestres classiques les plus prestigieux – cf. 
Lehmann, 2002 – constituerait une forme de déclassement), les 
fractions très différentes des « classes moyennes » dont ils sont 
souvent issus marquent profondément leur identité au travail et 
le type de leur carrière, entre une version artisanale du musicien 
prestataire de service et une version créatrice de l’artiste singulier.  
  124 
 CONCLUSION  
Ce rapide portrait nous a permis de porter au jour quelques-unes 
des caractéristiques sociales des musicien.ne.s ordinaires en 
Romandie, de montrer quels sont les principaux types de 
carrières qui se dégagent de l’enquête empirique et enfin de 
formuler des hypothèses explicatives quant aux éléments 
déterminants dans la sociologie des carrières musicales. Sans 
grande surprise, on peut ainsi constater que, comme cela se 
produit de manière récurrente dans les espaces du travail 
artistique (Menger, 1997, 2002), on a affaire à une population 
globalement mieux formée, mais plus précaire et moins bien 
rémunérée que l’ensemble de la population nationale. 
L’enquête permet aussi de montrer que les discriminations 
genrées sont toujours importantes dans le milieu des musiques 
actuelles puisque les femmes y sont très largement sous-
représentées, et ce même si les jeunes filles sont toujours une 
forte majorité dans certains espaces de formation (HEMU 
notamment). D’autre part l’origine sociale semble avoir un rôle 
déterminant sur les carrières puisque les individus jouant les 
types de répertoire et dans les lieux d’engagements les plus 
légitimes (compositions originales et salles de concert), 
constituant le pôle artistique de l’espace professionnel, sont ceux 
qui ont les niveaux de revenu les plus élevés et les origines 
sociales les plus favorisées.  
Nous achèverons notre contribution à cet ouvrage sur la 
musique en Suisse vue par les sciences sociales en appelant à une 
ouverture à la comparaison internationale. Cette démarche 
scientifique nous semble de première importance pour porter au 
jour ce que chaque espace national peut avoir de spécifique et 
peut engendrer dans l’inscription sociale du travail musical (nous 
avons régulièrement comparé la Suisse à la France dans les pages 
qui précèdent). Elle l’est aussi pour repérer ce qui peut constituer 
des transversalités dans l’exercice du métier de musicien, comme 
la bipolarisation entre la musique « pour elle-même », la musique 
de création produite par des « artistes singuliers » d’une part, et 
  125 
d’autre part la musique « fonctionnelle », musique de service 
destinée à faire danser, à meubler des temps morts ou à fournir 
un fonds sonore agréable dans un événement où elle n’est qu’un 
épiphénomène. Nous avons pour l’instant retrouvé cette 
bipolarité sur tous les terrains occidentaux qu’il nous a été 
possible d’arpenter et on peut considérer que cette double figure 
du musicien que l’on trouve déjà dans les travaux de Howard S. 
Becker (1985) dans le Chicago du milieu du siècle dernier est liée 
à l’ambivalence de l’inscription du fait musical dans nos sociétés.  
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  127 
LES TRIBUTE BANDS EN SUISSE : 
UN MONDE D’AMBIVALENCES 
par Nuné Nikoghosyan  
À partir du moment où il y a des tribute bands, et qu’ils 
prennent la place des groupes normaux qui composent, 
les groupes de compo ont moins de place pour se faire 
connaître. Ça devient un peu le chat qui se mord la 
queue, parce que… on va avoir du mal à écouter de 
nouveaux groupes, si on écoute toujours les anciens ou 
des gens qui les reprennent. (Tribute à Deep Purple) 
Ainsi le manager d’un tribute band à Deep Purple exprime-t-il 
son inquiétude, lui dont le groupe jouait auparavant ses propres 
compositions. Après une vingtaine d’années de compositions, le 
groupe s’est tourné vers les reprises et joue actuellement plus de 
concerts en tant que tribute band que jadis en tant qu’auteurs-
compositeurs-interprètes. Ce malaise se fait sentir, comme dans 
le cas de presque tous les tribute bands que nous avons rencontrés. 
Les tribute bands sont des groupes qui reprennent la musique 
des stars du pop/rock en respectant à des degrés divers la fidélité 
à l’œuvre originelle, entre une reprise exacte et réarrangée. 
Parfois, cela implique aussi la reprise d’aspects non musicaux, 
comme le style vestimentaire de l’artiste originel-le, ses gestes, 
son langage et ses décors sur scène. Si la notion de reprise n’a 
rien de nouveau et existe dans presque tous les genres musicaux, 
le phénomène des tribute bands s’avère, lui, plus spécifique au 
pop/rock et n’a pris de l’ampleur en Suisse que récemment. 
En effet, la plupart des musicien-ne-s que nous avons 
rencontré-e-s pour notre recherche ne jouaient dans ce type de 
  128 
configuration que depuis quelques années. Les lieux où l’on peut 
entendre ces groupes sont encore peu nombreux à l’heure 
actuelle, même si leur nombre s’accroit. À Genève, par exemple, 
on compte environ cinq ou six bars avec de la musique live, trois 
ou quatre festivals d’été et deux salles de concert à billetterie, où 
l’on peut écouter des tribute bands de temps en temps, mais pas 
forcément de manière régulière. Dans d’autres pays comme en 
France ou au Royaume-Uni, le phénomène existe depuis plus 
longtemps et avec des statistiques plus importantes : les premiers 
tribute bands sont apparus il y a une trentaine d’années et certains 
poursuivent leur activité jusqu’à ce jour. Les estimations 
tournaient autour de 10,000 tribute bands en Angleterre en 2005, 
par exemple (Gregory, 2012), soit environ 8% du secteur du 
divertissement live (Homan, 2006b). De telles statistiques se sont 
avérées très difficiles à trouver pour la Suisse, mais il est certain 
que le phénomène est, ici, plus récent et en développement.  
Toutefois, le monde de l’art des tribute bands se révèle, en 
Suisse, marqué par des ambivalences : alors que leur popularité 
grandit, toutes les parties (les musicien-ne-s, les intermédiaires et 
les publics) gardent une distance et se sentent obligées de justifier 
une pratique qui va à l’encontre de ces valeurs propres au champ 
artistique que sont la créativité et l’originalité. Idéalement, les 
artistes sont censés créer de nouvelles œuvres et non faire des 
« copies ». Par exemple, le programmateur d’un festival en Suisse 
expliquait ainsi ses choix de programmation musicale : 
On essaie la majeure partie du temps de proposer des 
œuvres originales. […] Les tribute bands, les covers et 
autres… euh... Je ne dénigre pas ce genre de prestation, 
mais… Il y en a très peu à [notre festival], parce que 
malheureusement, il faudrait qu’on ait une scène 
spécialement dédiée aux cover bands – chose qu’on ne 
peut aisément pas se permettre. Et par rapport aux 
musiciens qui ont leurs propres créations, c’est peut-être 
difficile et moins justifiable pour moi de proposer un 
cover band. 
  129 
Pourtant, lors de la conférence de presse du festival quelques 
jours après notre interview, le programmateur annonçait le seul 
tribute band programmé, parmi les centaines de prestations 
offertes, comme l’un des quelques « incontournables » de 
l’événement. De même, le programmateur d’une salle de 
spectacles à billetterie répond à notre question sur le nombre de 
concert de tributes programmés par année en disant qu’il en a « un 
peu trop, ces derniers temps, je pense ! » Toutefois, l’entrée à ces 
concerts coutant entre quarante à quatre-vingts francs suisses, et 
la salle étant presque toujours pleine, la résistance perçue dans 
cette réponse nous laisse perplexes à la vue de la logique 
économique et de la nécessité de bon fonctionnement de la salle 
en question. 
Cette réticence est également le fait des publics des tribute 
bands. Les goûts de ces publics sont loin d’être uniformes quant 
aux critères d’appréciation comme la manière de jouer (une 
reprise « exacte » et « fidèle », ou réarrangée et réinterprétée) ou 
encore la reprise ou non du visuel. D’une manière générale, les 
membres du public avec lesquels nous avons échangé, disent à 
propos de ces concerts que « c’est un bon divertissement », que 
« c’est mieux que rien », qu’« il y a une part de curiosité pour ce 
genre de groupe ». Une forme plutôt nouvelle de divertissement, 
certes, mais en plus d’avoir des opinions divisées, ces publics 
peuvent aussi être exigeants si bien que les musicien-ne-s devront 
savoir et pouvoir satisfaire plusieurs goûts : jouer à la fois à 
l’identique, mais aussi réarranger ou improviser de temps en 
temps ; reprendre des éléments de visuel, mais pas trop. En effet, 
outre des exigences et un regard parfois très critique, ce que 
cherchent ces publics, la plupart du temps, c’est l’expérience et la 
qualité de son d’un concert live plus qu’autre chose. Nous voici 
devant un dilemme : choisir d’écouter la version originale 
enregistrée sur un disque – une expérience différente de la 
musique live –, ou écouter un tribute band jouer cette même 
musique en live, tout en sachant qu’il s’agit d’une reprise, moins 
« authentique » que la version originale.  
  130 
Ainsi, de nombreuses personnes choisissent d’assister à un tel 
concert tout en gardant une distance, d’où les ambivalences dans 
l’attitude du public. Une personne explique :  
J’ai des amis qui me disent : « Oui, mais ce ne sont pas 
les vrais. » Et je dis : « Ben les vrais, ils sont au 
cimetière! » C’est ou on accepte de se contenter d’un 
tribute, et après, bon, réussi ou moins réussi, ou on ne va 
pas écouter de la musique live. Les Beatles, je les ai dans 
mon iPod et je les écoute dans la voiture. J’adore les 
morceaux, mon fils adore ça… mais la musique live reste 
la musique live. » 
Notre présente contribution vise à mettre en lumière les 
spécificités du monde de l’art des tribute bands en Suisse, avec un 
accent mis sur ses ambivalences. En effet, notre réflexion sur le 
sujet a commencé par ce constat d’ambiguïté derrière le principe 
même du phénomène. Notre question de recherche principale 
est : comment s’organise et travaille ce monde de l’art singulier 
qu’est celui des tribute bands alors que la notion même de la 
reprise parfaite – au cœur de ce phénomène – s’accorde 
difficilement avec les normes qui régissent les musiques 
actuelles ? 
Pour répondre à cette question, nous nous appuyons sur 
l’approche théorique développée par Howard S. Becker dans Les 
Mondes de l’art (1988), lequel argumente que toute production 
artistique est le résultat d’une action collective qui se réalise en 
réseau. La coopération entre plusieurs individus à travers une 
chaîne de production, même sans forcément en être conscient, 
est au cœur de l’art plus que le talent individuel, selon l’auteur. 
Coopération, néanmoins, n’implique pas forcément que tous les 
individus qui travaillent ensemble en seront contents : il ne s’agit 
que d’une manière de s’organiser afin d’« arriver à fabriquer les 
choses et les sortir de la porte »91 (Danko, 2015, p. 158).  
● 
91 « They cooperate to get this stuff made and out the door. I really don’t 
know why so many people read into the word “cooperation” the idea that 
  131 
Nous postulons que la montée en popularité des tribute bands 
est le résultat d’une telle coopération – un travail collectif entre 
musicien-ne-s, organisateurs-trices de concerts et publics. Une 
coopération qui est aussi caractérisée par des ambiguïtés, des 
malaises, des justifications et une quête de légitimation. Notre 
approche méthodologique s’inscrit dans une démarche 
qualitative : nous avons à ce jour observé une soixantaine de 
concert en Suisse et mené des entretiens semi-directifs avec une 
soixantaine de musicien-ne-s de vingt-sept tribute bands, 
individuellement ou en groupe, dix intermédiaires professionnel-
le-s et des membres du public. Bien que les quelques ouvrages 
scientifiques autour des tribute bands (notamment Homan, 2006a, 
Gregory, 2012) nous aient indiqué des pistes précieuses de 
réflexion, les études sociologiques approfondies sur le sujet font 
défaut, tout particulièrement en Suisse. 
UNE NOUVELLE ALTERNATIVE A LA NORME  
Le parcours idéal-typique des musicien-ne-s, surtout s’agissant 
des musiques actuelles, est de commencer son activité musicale 
par des reprises, pour l’apprentissage, et ensuite de passer à la 
création de ses propres compositions (Green, 2002). En effet, à 
partir des débuts des années 1960, la norme de l’auteur-
compositeur-interprète s’installe dans le rock (Solis, 2010). La 
légende veut que les deux groupes les plus influents de l’époque, 
les Beatles et les Rolling Stones, aient été obligés, par leurs 
managers respectifs, de commencer à composer leurs propres 
chansons au lieu de faire des reprises afin de garder les 
redevances résultant des droits d’auteur en plus des droits 
d’interprète (Chirache, 2008). Toutefois, les parcours réels des 
musicien-ne-s de nos jours s’avèrent différents de cette norme 
idéalisée. En effet, une bonne partie des musicien-ne-s se 
retrouvent à jouer des reprises et des compositions originales en 
●● 
everyone who is involved is happy with this situation. » (Interview avec 
Howard S. Becker, in Danko 2015, p. 158). 
  132 
parallèle, participant à plusieurs groupes musicaux en même 
temps. D’autres effectuent un aller-retour, commencent par des 
reprises, passent ensuite aux compositions, puis reviennent aux 
reprises. La plupart du temps, il s’agit là d’une pluriactivité 
musicale, les avantages que donne un tribute band aux musicien-
ne-s sur le marché étant complémentaires de ceux propres à 
d’autres formes de groupes, comme un groupe de reprises 
variées ou de compositions originales. Entre autres, cela permet 
aux musicien-ne-s de s’insérer dans le réseau professionnel, 
multiplier les dates, trouver un public. Ces étapes permettront 
par la suite de se faire un nom, non seulement en tant que 
musicien-ne, mais encore et surtout en tant qu’auteur(e)-
compositeur(trice)-interprète. Jouer dans un tribute band peut, par 
conséquent, être à la fois un loisir de fan et une réponse à la 
difficulté de trouver un emploi. 
Le tribute band n’est alors qu’une alternative nouvelle et 
aujourd’hui à la mode aux groupes de reprises. La reprise de 
divers artistes, époques et genres en une soirée, ce que font les 
groupes de reprises, rapproche trop le concert de l’animation ou 
du bal (Perrenoud, 2007). Le tribute band, lui, permet de concilier 
les éléments les plus avantageux des compositions et des reprises. 
D’une manière générale, les reprises impliquent un dispositif de 
jeu dit d’entertainment comme dans un bar à entrée gratuite, 
devant un public très mobile et plutôt indifférent à la musique, 
laquelle n’est alors plus qu’une musique de fond. Jouer ses 
propres compositions, au contraire, impliquerait idéalement un 
dispositif de concert : sur une grande scène à entrée payante, 
devant un public dit total, qui prête attention à la musique jouée, 
comme c’est le cas pour les vedettes (Perrenoud, 2007). Être 
dans un tribute band permet de se retrouver devant un public total 
tout en jouant des reprises. Le public, ici, peut être fan de l’artiste 
originel-le, qui connaît bien le répertoire, a peut-être même payé 
son entrée, suit de près la musique et peut se mettre à chanter, 
faire des requêtes, voire critiquer les points faibles – un public 
difficile à qualifier d’indifférent. Le paradoxe est par conséquent 
que le tribute band, à savoir la reprise exacte allant plutôt à 
l’encontre des normes et valeurs du domaine artistique, est ce qui 
  133 
permet de se rapprocher le plus du dispositif musical idéal 
(concert, grande scène, entrée payante, public total). 
LE MARCHE DES TRIBUTE BANDS 
Afin de naviguer dans ce marché musical, en tant que 
professionnel ou amateur, il faut savoir manier le réseau de 
connexions entre musicien-ne-s et intermédiaires professionnel-
le-s (programmation, agences, etc.). Il en va ainsi, car non 
seulement les lieux de production musicale varient en termes de 
dispositifs (Perrenoud, 2007) tandis qu’une hiérarchie se met en 
place, mais aussi, car rares sont encore les lieux en Suisse qui 
acceptent de programmer des tribute bands. Le dilemme s’avère de 
taille pour les organisateurs-trices de concerts : les tribute bands 
peuvent être plus aguicheurs que des groupes de compositions 
locaux, mais ils attireront peut-être un certain public (en termes 
d’âge et de goût musical) et risquent même de donner une 
mauvaise image au lieu, en l’associant à la notion de « copié-
collé ». Les propos du programmateur d’un festival de rock à 
Genève explicitent ce dilemme : 
Notre festival met en avant les groupes genevois qui 
composent et interprètent leurs morceaux. Nous avons 
voulu étoffer un peu notre offre avec un tribute band, car 
ils rencontrent du succès actuellement, mais nous ne 
sommes pas convaincus par l'apport en termes d'image 
et de public. Tout cela est encore en réflexion de notre 
côté.  
Une hiérarchie existe entre les dispositifs de jeu, ou les lieux 
où il est possible de se produire en tant que musicien-ne. Pour 
simplifier l’argument, nous pouvons distinguer trois dispositifs : 
1) l’animation musicale (typique des bars, clubs, fêtes privées), 2) 
le dispositif du festival, où plusieurs artistes partagent la scène, 3) 
le dispositif du concert dans une salle de spectacle à billetterie – 
l’idéal dont rêvent les musicien-ne-s. Cette distinction reste très 
large pour une fine analyse du marché de l’emploi des musicien-
ne-s, mais nous aimerions ici souligner les quelques enjeux, 
  134 
contraintes et marges de manœuvre de ce marché musical pour 
ce qui est spécifiquement du monde de l’art des tribute bands, 
selon le dispositif. En effet, c’est en concurrence avec les 
« groupes normaux » de composition que les tribute bands se 
positionnent sur le marché, mais aussi dans le monde de l’art et 
plus généralement dans le monde social. Si un lieu refuse de 
programmer des tribute bands, la justification se déclinera en 
termes de valeurs artistiques : privilégier la promotion de la 
créativité et l’originalité artistique, et non les reprises ou le 
« copié-collé ». Mais les tribute bands présentent des avantages et 
des contraintes différentes de ceux des groupes de composition 
selon le dispositif. La pondération des options donne ainsi lieu à 
des ambiguïtés et ambivalences quant à l’acceptation ou au refus 
des tribute bands. 
Tableau 7 : Les caractéristiques des dispositifs de jeu 
Considérons maintenant de plus près ces questions suivant les 
trois dispositifs. Le tableau ci-dessus (tableau 7) résume les 
caractéristiques idéal-typiques de ceux-ci selon les critères 
suivants : si l’endroit dispose d’une véritable scène ou non (un 
espace délimité et physiquement réservé aux musicien-ne-s face 
 Animation Festival Salle à billetterie 
Présence d’une 
scène 
Oui / non Oui Oui 
Prise en charge 
technique 
Oui / non Oui Oui 
Entrée 
Gratuite / 
payante 
Gratuite / 
payante 
Payante 
Financement 
Entrées / 
boissons 
Entrées / 
boissons / 
subsides 
Entrées 
Présence sur scène Réservée Partagée  Réservée 
Public 
Semi (plutôt 
indifférent) 
Semi / total  
(intérêts 
variés)  
Total  
(intéressé) 
  135 
au public) ; prise en charge et soutien techniques ou non ; si 
l’entrée est gratuite ou payante ; le financement de la prestation ; 
si plusieurs artistes partagent la scène successivement pendant la 
soirée ou non ; attitude du public, plutôt indifférent (semi) ou 
intéressé (total) (voir Perrenoud, 2007). Une tendance peut déjà 
être dégagée ici : plus nous nous déplaçons vers la droite sur ce 
tableau, plus le lieu devient prestigieux, plus les mondes de l’art 
des reprises exactes et des compositions se séparent et plus le 
choix d’endroits où se produire en tant que tribute band se 
restreint. 
LE DISPOSITIF D’ANIMATION  
Le premier dispositif est celui où la musique est un outil parmi 
d’autres pour attirer du public et animer une journée ou une 
soirée. Nous retrouvons ici, typiquement, le niveau le plus local 
de production : bars, clubs, cafés, restaurants, fêtes de quartier 
ou privées. Ici, le but principal de l’événement est plus la vente 
de produits (boissons, repas et autres) que l’offre d’une 
prestation musicale en soi. Les enjeux de la programmation 
musicale sont donc spécifiquement liés à ce but : il faut une 
musique qui attire du public afin d’augmenter les chances de 
vente de produits sur place. La musique n’est qu’un outil parmi 
d’autres et il se peut qu’un tel endroit offre également d’autres 
prestations ou animations, comme une soirée de comédie, de 
lectures, ou encore de bal masqué. L’entrée est généralement 
gratuite ou à un prix symbolique (selon la notoriété du lieu et des 
musicien-ne-s invité-e-s) et compensé par les ventes réalisées sur 
place. 
Si des groupes de reprises font déjà partie de la 
programmation de l’endroit, les chances sont élevées qu’un tribute 
band y soit le bienvenu, et même volontiers, sous condition que 
cela attire l’attention et amène du public. Si les groupes de 
reprises sont refusés dès le départ, il s’agit alors d’une question 
de principe, voire identitaire : l’on cherche à promouvoir la 
créativité et l’originalité des groupes, alors que les reprises sont 
  136 
associées de trop près à l’animation et aux soirées de karaoké 
plus qu’à un « vrai » concert. Par ailleurs, certains tribute bands 
seront plus souvent programmés que d’autres, selon l’endroit et 
les goûts du public d’habitués. Par exemple, un pub britannique 
qui attire plus souvent des anglophones que des francophones 
programmera des tributes à des groupes anglais ou américains 
plutôt qu’à des vedettes françaises. Un tribute band à Oasis aura 
donc plus de chances d’accéder à un tel endroit qu’un tribute à 
Noir Désir. De même, un tribute à Oasis ferait mieux de chercher 
des endroits où côtoyer un public anglophone plutôt que 
francophone. En général, le choix de l’artiste originel-le à 
reprendre importe moins ici – il peut y avoir autant de tributes à 
des artistes disparu-e-s qu’à des artistes toujours en activité. Il en 
est de même pour les genres musicaux. Ce qui compte le plus est 
la capacité d’attirer du public. 
Mais, une fois programmé, le tribute band devra souvent faire 
face à une situation de jeu, pour le moins, difficile et remplie de 
contraintes notamment techniques. Il n’y aura pas toujours une 
scène à proprement parler ni une prise en charge technique sur 
place. Il faudra parfois se débrouiller afin de faire un peu 
d’espace pour installer les instruments, créer une scène là où les 
autres jours de la semaine, il n’y en a pas, ceci en poussant un 
peu les tables et les chaises, et prendre en charge en personne ce 
que ferait en principe l’ingénieur-e de son. De plus, il faudra faire 
face à un semi-public, c’est-à-dire à un public qui n’est pas 
forcément venu pour la musique, et dont une partie se montrera 
même peu intéressée. Certains passeront du temps à manger, 
boire et discuter, ne prêtant qu’une attention limitée au concert. 
Il se peut que des publics avec divers intérêts se côtoient sur 
place, créant des ambiguïtés dans la situation. Par exemple, lors 
d’un concert d’un tribute band que nous avons observé, le 
chanteur fut pris par surprise quand, tout à coup, il y a eu des 
applaudissements au milieu de la chanson ; en se retournant et 
voyant la télévision derrière lui, il comprit que les acclamations 
n’étaient pas pour lui, mais pour le but qu’une des équipes du 
match de foot venait de marquer. Il continua sa chanson (et le 
  137 
concert) en sachant qu’il n’avait qu’une partie de l’attention du 
public pour lui. 
En outre, de tels lieux locaux et plutôt petits s’appuient 
fortement sur un réseau de connaissances dense afin de parvenir 
à trouver les groupes à programmer. Ceci est d’abord dû à des 
raisons financières : passer par des connaissances personnelles 
coute moins cher que de travailler avec des agences 
professionnelles. Et, puisqu’il y a beaucoup (et même de plus en 
plus) de groupes locaux qui cherchent des endroits où jouer, le 
nombre de demandes que reçoivent ces programmateurs-trices 
reste suffisamment élevé pour ne pas avoir besoin de faire 
recours à des agences. Pour ces groupes locaux, surtout les 
débutants, il est aussi plus rentable d’éviter les coûts 
supplémentaires d’une agence. Néanmoins, cela implique de 
devoir naviguer dans un réseau d’interdépendances très dense, 
car à ce niveau, les personnes impliquées dans ce monde de l’art 
sont presque toutes connues les unes des autres. 
Les autres tribute bands s’avèrent, eux, tantôt des concurrents, 
tantôt des collaborateurs. Les musicien-ne-s peuvent collaborer 
surtout quand un groupe doit, pour diverses raisons, renoncer à 
une date offerte ou prévue et qu’il pourra recommander un autre 
tribute band à sa place. La concurrence existe comme pour 
d’autres musicien-ne-s et artistes : il y a plus de groupes musicaux 
que de nombre de soirées et d’endroits où se produire. Mais, 
dans le cas des tribute bands, la concurrence peut prendre une 
forme plus spécifique quand plusieurs groupes locaux reprennent 
le même artiste originel-le. Dans ces cas, la compétition en 
termes économiques devient plus visible et accrue, car le service 
offert (le répertoire de l’artiste originel-le) demeure plus ou 
moins inchangé, mais les publics et les endroits, moins. Pour 
pouvoir attirer l’attention du public, il faut alors assumer un 
certain niveau de qualité de jeu musical, même si ce critère de 
jugement reste très subjectif. Et quand ces groupes sont au 
même niveau en termes de qualité, ils vont peut-être devoir jouer 
soit sur leurs connaissances personnelles, soit sur le prix. Les 
voici en face d’un danger de guerre des prix, car si la qualité de la 
  138 
prestation est la même et que le public sera sûrement présent, les 
programmateurs-trices préféreront payer moins. Cet enjeu 
n’existe presque pas pour les groupes de compositions ou pour 
les groupes de reprises qui jouent des titres variés, car dès le 
départ, le service (le répertoire joué) ne sera jamais le même 
comparé à d’autres groupes. 
Mais l’on observe également que ce dispositif est celui qui 
donne le plus de liberté artistique aux musicien-ne-s. Comme on 
l’a vu plus haut, le choix de l’artiste originel-le à reprendre 
s’avère, ici, moins contraignant – la seule condition de réussite 
étant de pouvoir attirer un public. De même, les choix du style 
de jeu musical restent plus libres : on peut décider de faire une 
reprise exacte ou plus improvisée et réarrangée ; on peut 
reprendre ou non des aspects visuels, dans les limites des 
contraintes techniques et spatiales de la scène, etc. Les musicien-
ne-s peuvent aussi se permettre de jouer quelquefois des reprises 
d’autres artistes en une même soirée, tout en gardant des limites 
pour ne pas être confondus avec un groupe de reprises variées, 
voire jouer quelques-uns de leurs propres titres en profitant 
d’augmenter leur visibilité auprès du public en tant que groupe 
de compositions. 
LE DISPOSITIF DU FESTIVAL  
Des lieux relativement plus prestigieux que les précédents sont 
ceux où la musique devient une prestation en soi, plus qu’un 
outil d’animation ou d’attraction, mais où la scène est partagée 
entre plusieurs artistes, comme dans le cas des festivals. 
Néanmoins, nous devons distinguer, ici encore, deux sous-
catégories, car les enjeux sont différents selon s’il s’agit d’un 
festival plutôt local et régional ou à une échelle plus 
internationale. Dans les deux cas, le but principal d’un festival est 
d’offrir une prestation musicale en soi. La vente de produits sur 
place (boissons, repas, t-shirts et d’autres encore) peut parfois 
être une source importante de revenu, mais la musique sert 
moins directement à cela, comme dans le cas des bars. Toutefois, 
  139 
les contraintes seront différentes : un « petit » festival plutôt local 
aura plus de limites spatiales et ne pourra accueillir qu’un nombre 
limité de spectateurs, y compris pour des raisons de sécurité. Un 
festival plus grand et international pourra, en revanche, attirer un 
maximum de public, car il sera mieux en mesure de gérer ces 
enjeux. D’ailleurs, l’entrée du festival peut être gratuite ou 
payante et à des prix très variés, selon sa notoriété et ses 
principes, ou encore s’il est financé ou non – en tout ou partie - 
par des subventions publiques. 
Les enjeux identitaires seront aussi différents dans les deux 
cas, avec des effets spécifiques sur les choix de programmation. 
Un « petit » festival à budget limité pourra accepter des tribute 
bands surtout afin de se distinguer du dispositif précédent et pour 
ne pas programmer des groupes de reprises variées, laissés à 
l’animation (bars, clubs, fêtes...). Ceci reste toutefois conditionné 
par le fait qu’il ne soit pas question en principe de n’accepter que 
des artistes auteur(e)s-compositeur(e)s, et que le budget restreint 
du festival ne permette pas de programmer des vedettes. Des 
tribute bands seront donc programmés en alternance avec des 
groupes de compositions. En Suisse, tel est le cas pour la Fête de 
la Musique dans certaines villes, les Fêtes de Genève, 
Festiverbant, le Gena Festival et d’autres festivals. Mais la 
programmation des tribute bands s’avère, ici, plus une option 
plausible qu’une régularité. 
Un festival à une échelle plus grande, au contraire, sera plus 
enclin à refuser de programmer des tribute bands afin de défendre 
son identité artistique de promotion des œuvres originales. Ici, 
l’on refuse généralement des groupes de reprises, trop associés à 
l’animation. De même, si le budget du festival le permet, ce qui 
est en général le cas pour les grands festivals, l’on préférera 
programmer des stars plutôt que leurs tribute bands. Ces derniers 
peuvent même abîmer l’identité artistique du festival et sa 
position dans le monde de l’art, car l’on admet alors une certaine 
« défaite » et de ne pas avoir la capacité d’attirer les stars. Ou, il 
faudra qu’il s’agisse d’un-e artiste originel-le qui n’est plus en 
activité et que l’on ne peut pas programmer. Dans ces cas, le 
  140 
tribute band remplit un certain vide, donc il n’est plus question de 
défaite. En effet, à ce niveau de production, les mondes de l’art 
de compositions et de reprises se séparent. Les festivals 
mondialement connus, comme Paléo en Suisse ou Glastonbury 
au Royaume-Uni, ne programment que très rarement des tribute 
bands, et ce pour ces mêmes enjeux identitaires. Ainsi observons-
nous depuis quelques années le développement en parallèle de 
festivals consacrés aux tribute bands comme Glastonbudget 
(Royaume-Uni), Fake Festivals (Royaume-Uni), Spa Tribute 
Festival (Belgique) ou Zuri’Rockt (Suisse, depuis 2016) 
notamment. 
Puisqu’il s’agit d’une programmation annuelle étendue sur 
quelques jours, il est généralement plus prestigieux pour les 
musicien-ne-s de jouer lors d’un festival que dans des bars, par 
exemple. La sélection de la programmation d’un festival est 
presque plus rigoureuse, car annuelle, que dans les bars où 
l’animation musicale est hebdomadaire. Néanmoins, ce processus 
de sélection varie, encore une fois, selon l’échelle du festival et 
influence les musicien-ne-s différemment. Au niveau plus local, 
comme dans le cas de l’animation, le réseau personnel de 
connaissances prime sur les agences professionnelles d’artistes. 
Le prix reste un facteur important, mais avec moins de danger de 
guerre des prix, car les caractéristiques spécifiques du festival 
(l’offre de prestation musicale en soi et la programmation 
annuelle) permettent moins s’arrêter aux seuls aspects financiers. 
En revanche, à l’échelle internationale, la sélection de musicien-
ne-s par l’intermédiaire des agences prime sur les réseaux 
personnels. Le processus de sélection est donc plus formel de 
même que la manière de travailler. 
Comme dans le cas de l’animation, le choix de l’artiste 
originel-le repris-e importe moins ici aussi. Le critère important 
est d’attirer du public tout en sachant que celui-ci peut être 
intéressé par l’un ou l’autre des groupes programmés, la scène 
d’un festival étant partagée entre ces derniers lors d’une même 
journée. On peut donc voir des artistes de divers genres 
musicaux et d’époques différentes être repris lors d’un même 
  141 
festival. En effet, cela dépend des principes de l’équipe de 
programmation, qu’elle accepte uniquement ou non des tributes à 
des artistes qui ne sont plus en activité. Nous revenons à 
l’argument identitaire : accepter un tribute à un-e artiste toujours 
en activité implique d’admettre une certaine « défaite ». De 
même, la reprise ou non des aspects non musicaux, comme la 
dimension visuelle (le « déguisement »), peut compter ou non, 
selon les principes du festival ainsi que ses capacités techniques 
de prise en charge du show qui peut, selon les cas, couter très 
cher. Mais sachant que, parfois, un show visuel peut attirer plus 
de public, voilà que resurgissent les dilemmes. Comme nous le 
dit le programmateur d’un festival en Suisse, « a priori, je suis un 
peu sur les pattes-arrières quand je reçois ce genre de demandes 
», mais il les accepte de temps en temps. 
LE DISPOSITIF DE LA SALLE A BILLETTERIE 
Enfin, le dernier dispositif - le plus prestigieux pour les musicien-
ne-s - est la salle de spectacle à billetterie. Cela implique une 
prestation musicale en soi sur une scène réservée à un seul 
groupe ou artiste, contrairement aux festivals. Le fait qu’il 
s’agisse d’un concert à entrée payante, où la scène n’est pas 
partagée lors de la soirée et où le public restera très 
probablement jusqu’à la fin du concert (contrairement aux 
publics mobiles des bars et des festivals), les enjeux identitaires 
s’avèrent ici très forts. La salle de spectacle aura ainsi, comme les 
festivals à l’échelle internationale, une notoriété et une identité 
musicale à défendre. D’où la réticence à accepter des tribute bands 
à moins qu’il s’agisse de cas où l’artiste repris-e n’est plus en 
activité et que l’on ne pourra de toute façon plus programmer. 
Un tribute band qui reprend un-e artiste toujours en activité, voire 
en tournée, n’aura que des chances minimes d’accéder à un tel 
lieu. Le choix de l’artiste originel-le peut donc contraindre les 
possibilités des endroits où jouer. Le directeur d’une organisation 
de concerts en Suisse s’exprime ainsi à ce propos : 
  142 
C’est faute de mieux. Si l’artiste original est toujours là, 
toujours en activité et en train de jouer, choisir de 
présenter la copie, ce serait parce qu’on n’est pas en 
mesure de présenter l’original, et puis autant s’abstenir 
dans ce cas-là. Puisque l’original est là, ce qui nous 
intéresse, c’est l’original. Un cover band de Depeche Mode, 
ça ne m’intéresse pas, je préfère organiser Depeche 
Mode en Suisse. C’est plus intéressant et c’est plus 
authentique. Donc non, pas de cover band d’artistes actifs. 
Notre priorité quand on se lève le matin, c’est de 
pouvoir attraper des artistes avec qui on a envie de 
travailler, qui sont ceux que les gens ont trop envie de 
voir, qui sont des têtes d’affiche… plein de raisons ! 
C’est-à-dire que les cover bands ne sont pas forcément 
ceux qui viennent en tête de liste, vous voyez ? 
De plus, ce dispositif doit se distinguer des deux précédents, 
surtout du fait d’être à entrée payante, et il offre presque toujours 
un élément de plus et non « simplement » de la musique. 
L’argument est qu’il faut offrir une prestation que le public ne 
trouvera pas ailleurs, à un prix plus faible. Sinon, une grande salle 
de spectacle, généralement avec une certaine notoriété, sera 
concurrencée par les bars et « petits » festivals qui offrent des 
concerts similaires à moindre prix. La valeur ajoutée devient ici la 
dimension visuelle du show : le « déguisement » des musicien-ne-
s, les décors sur scène, les images et vidéos projetées sur un 
grand écran, un show de lumières, etc. La prestation offerte 
devient plus un spectacle qu’un concert ; elle s’éloigne fortement 
d’une soirée d’animation dans un bar si bien que le prix d’entrée 
se justifie plus facilement.  
Mais nous voici encore une fois devant un paradoxe : la 
reprise du visuel est l’élément dont on se défie le plus dans ce 
monde de l’art, parfois qualifié d’ « excessif » ou de trop proche 
des sosies, voire de « mauvais goût ». Mais les salles les plus 
prestigieuses et chères l’imposent presque toujours aux tribute 
bands. Le directeur cité plus haut explique ainsi que « le dispositif 
théâtral, c’est-à-dire assis-fauteuil-scène, permet de rappeler qu’il 
s’agit d’une représentation. » Autrement dit, on court moins le 
  143 
risque de malentendus ou de déceptions quand le dispositif 
oblige à interpréter le concert au « deuxième degré », comme au 
théâtre. Et ce qui rapproche un concert du théâtre, c’est, avant 
tout, le visuel. Le dilemme persiste aussi du point de vue du 
public, comme en témoignent les propos de ce spectateur : 
Je préfère quand les tribute bands jouent simplement les 
morceaux sans avoir recours aux costumes, mimiques et 
autres imitations. Les chansons se suffisent à elles-
mêmes sans qu'on ait besoin de tous ces artifices pour 
apprécier le concert. Mais je suppose que la majorité du 
public veut un vrai show et qu'un simple concert de 
bons musiciens en jeans et t-shirt ne remplirait pas les 
salles. 
Comme dans le cas des festivals à grande échelle, ici aussi, la 
sélection d’artistes par des agences professionnelles prime sur les 
réseaux personnels. Ainsi un tribute band (débutant ou moins 
connu) qui ne travaille pas avec une agence, surtout par souci 
d’économie, n’aura que très peu de chances d’accéder à de tels 
lieux. Le prix devient ici presque un signe de niveau de qualité : 
plus le prix demandé est élevé, plus on va l’associer à la qualité 
de la prestation, et plus on va pouvoir exiger une « bonne 
qualité » de cette dernière ou faire recours à l’agence et refuser de 
nouvelles offres si les attentes ne sont pas remplies. Cette 
recherche d’une « bonne qualité » - critère très subjectif, certes – 
est à son tour liée aux exigences du public. Du fait d’avoir payé 
son entrée à un prix plus élevé que dans les bars, le public 
n’hésitera pas à faire entendre sa voix en demandant des titres 
spécifiques, par exemple, ou à ne plus revenir si ses atteintes ne 
sont pas remplies. Les exigences du public ajoutent une 
contrainte aux musicien-ne-s. D’ailleurs, dès le départ, les 
musicien-ne-s disposent d’une liberté artistique limitée : l’on ne 
peut se permettre de jouer un autre répertoire que celui annoncé 
(comme ses propres compositions ou des reprises d’autres 
artistes), trop réarranger ou improviser les titres, alors que cela 
est souvent possible dans les bars, par exemple. 
  144 
EN GUISE DE CONCLUSION 
Nous avons voulu montrer ici à quel point le monde de l’art des 
tribute bands est marqué par des ambivalences, des réticences et 
des justifications, au moins en Suisse qui a constitué notre terrain 
de recherche. Il s’agit d’une activité musicale qui prend de 
l’ampleur, mais dont toutes les parties se méfient : à la fois les 
musicien-ne-s, les intermédiaires et les publics. Chacun-e 
commence dès lors à chercher des justifications, comme si l’on 
s’engageait dans une activité qui serait plutôt à éviter si bien qu’il 
faut avoir une bonne raison pour la continuer. D’ailleurs, on se 
justifie presque toujours en termes économiques : on fait ce 
qu’on fait, car il y a un marché pour cela. Le point de vue d’un 
musicien, partagé par beaucoup d’autres, s’avère ainsi révélateur : 
C’est plutôt l’organisateur ou le public qui sont 
responsables de ça. Si le responsable ne prend pas de 
tribute bands, ça va s’arrêter tout seul ! Et si le public ne 
vient pas, l’organisateur n’en prend plus. 
Les organisateurs-trices, à leur tour, disent ne faire que 
répondre à une demande, en termes surtout économiques :  
Nous, on n’est qu’un maillon de la chaîne et le dernier. 
On n’est pas l’initiateur de ce type de projets ou le 
producteur. À la base, on n’est que l’organisateur. 
Le public, enfin, se justifie aussi en termes économiques et 
d’accessibilité de l’offre, « faute de mieux » :  
Quand les auteurs [originaux] ne se produisent plus, les 
tribute bands, s’ils sont bons, représentent un moyen 
honorable de les entendre. 
Même quand les tribute bands sont plus aguicheurs que les 
groupes de compositions, ce sont des groupes qui arrivent en 
second sur la liste des choix et des priorités, toujours « faute de 
mieux » et acceptés avec une certaine réticence. D’ailleurs, les 
tribute bands eux-mêmes avouent parfois s’y être engagés faute de 
mieux sur le marché de l’emploi musical. Néanmoins, toutes les 
  145 
parties en bénéficient, chacune à sa manière. Pour les musicien-
ne-s, cela peut aider dans l’avancement de leur parcours musical, 
accroitre l’expérience de la scène, permettre l’insertion dans des 
réseaux professionnels, aider la recherche de public, et plus 
encore. Les intermédiaires en bénéficient également, car le 
concert attire du public, en fin de compte. Le public, à son tour, 
apprécie non seulement le divertissement, mais aussi l’expérience 
d’un concert live, surtout quand il s’agit d’artistes que l’on ne peut 
plus voir sur scène, artistes pour lesquels le tribute band sert 
presque de remplaçant. Mais, aussi et surtout, l’artiste originel-le 
même en bénéficie : directement, par le biais des redevances de 
droits d’auteur sur ses titres interprétés par autrui, et 
indirectement, par le fait que les tribute bands contribuent à 
conserver sa musique dans la mémoire collective des publics. 
Un-e artiste qui peut compter sur plusieurs tribute bands 
aujourd’hui verra sa notoriété et sa visibilité dans l’espace public 
s’accroitre ou, du moins, ne pas diminuer par rapport à d’autres 
qui n’ont pas ou peu de tributes. Cette situation contribue à la 
patrimonialisation de sa musique (Le Guern, 2012) au point de 
confirmer son statut de « légende » musicale tant ces hommages 
remplissent le vide créé par son absence de la scène. 
BIBLIOGRAPHIE 
Becker Howard (1988), Les mondes de l’art, Paris : Flammarion.  
Chirache Emmanuel (2008), Covers. Une histoire de la reprise dans le rock, 
Marseille : Le Mot et le Reste. 
Green Lucy (2002), How popular musicians learn. A Way ahead for music 
education, Surrey : Ashgate. 
Gregory Georgina (2012), Send in the clones. A cultural study of the tribute 
band, Sheffield : Equinox. 
Homan Shane (Éd.) (2006a), Access all eras. Tribute bands and global pop 
culture, Londres : Open University Press. 
Homan Shane (2006b), « You’ve got to carry that weight. » Tribute acts 
ain the entertainment supermarket, In : Homan Shane (Éd.), Access all 
eras. Tribute bands and global pop culture, Londres : Open University Press, 
pp. 32-51.  
  146 
Le Guern Philippe (2012), Un spectre hante le rock… L’obsession 
patrimoniale, les musiques populaires et actuelles et les enjeux de la 
‘muséomomification’, Questions de communication, 22, pp. 7-44. 
Perrenoud Marc (2007), Les musicos. Enquête sur des musiciens ordinaires, 
Paris : La Découverte. 
Solis Gabriel (2010), « I did it my way. » Rock and the logic of covers, 
Popular Music and Society, 33(3), pp. 297-318. 
  147 
QUELLES PRATIQUES, QUELLES 
INSTITUTIONS ?: 
CARTOGRAPHIE INSTITUTIONNELLE DES 
PRATIQUES DES SPECTATEURS DE LA MUSIQUE 
CLASSIQUE DANS UNE GRANDE VILLE DE SUISSE 
ROMANDE  
par Loïc Riom 
INTRODUCTION92 
Si les pratiques culturelles des Suisses – notamment en ce qui 
concerne le spectacle vivant – sont désormais mesurées à un 
niveau national (voir dernière enquête OFS, 2016), il existe 
toutefois encore peu d’information sur leur inscription dans le 
paysage institutionnel helvétique et ses spécificités cantonales 
(Moeschler et Thevenin, 2009a). Pourtant, par leur travail de 
programmation, leurs stratégies de communication, ou ce 
qu’elles représentent aux yeux des spectateurs, les institutions 
culturelles participent à façonner les pratiques culturelles et la 
culture (Lizé et Roueff, 2010 ; Dutheil-Pessin et Ribac, 2017). 
Pour décrire les modalités de ces pratiques, il est donc nécessaire 
d’examiner comment elles s’inscrivent dans un « paysage 
culturel », c’est-à-dire l’ensemble des acteurs culturels situés dans 
● 
92 Je remercie Sabrina Roduit pour son aide ainsi que les participants à la 
journée d’étude « Musique en Suisse » pour leurs différents commentaires. 
Ma gratitude va également à Miriam Odoni pour notre collaboration tout 
au long de l’étude ainsi que ses précieuses relectures. 
  148 
un lieu donné et interagissant les uns avec les autres. Une telle 
approche permet d’appréhender l’impact de l’organisation des 
infrastructures et des politiques culturelles sur un territoire. Ce 
focus sur la localisation des pratiques culturelles semble d’autant 
plus pertinent dans un contexte suisse où les acteurs locaux 
occupent une place centrale dans l’organisation des politiques 
culturelles93.  
À partir d’une enquête quantitative menée lors de douze 
concerts de musique classique proposés dans une grande salle de 
la ville de Suisse romande étudiée – la Philharmonie 94  –, ce 
chapitre vise à analyser comment les pratiques des spectateurs 
interrogés s’organisent autour des institutions qui peuplent le 
paysage culturel de la ville en question. Pour ce faire, nous ferons 
la cartographie des institutions fréquentées régulièrement par les 
répondants. Après être revenus sur les spécificités des méthodes 
d’analyse utilisées, nous commencerons par décrire les 
caractéristiques des institutions citées. Dans un deuxième temps, 
nous présenterons les résultats obtenus au moyen des outils de 
l’analyse de réseaux. En conclusion, nous discuterons ces 
résultats en les replaçant dans le contexte historique et 
institutionnel étudié. 
« PAYSAGE CULTUREL » :  
UNE BREVE INTRODUCTION THEORIQUE ET 
QUELQUES HYPOTHESES 
Au cours des dernières décennies, de nombreux travaux ont 
participé à la prise en compte croissante de la dimension spatiale 
● 
93  Selon le principe de subsidiarité qui organise l’État fédéral suisse, la 
Confédération ne prend en charge un domaine que lorsque les niveaux 
hiérarchiquement inférieurs ne peuvent le prendre en charge. De fait, la 
culture reste principalement à la charge des communes ou des cantons (voir 
Ducret, 2009 ; OFS, 2010 ; Moeschler et Thevenin, 2012). 
94 À la demande du mandant, les différentes institutions ont été anonymi-
sées. 
  149 
des mondes de la musique (voir Straw, 1991 ; Becker, 2002 ; 
Guibert, 2012). Cependant, ces travaux se concentrent 
généralement principalement sur la production musicale si bien 
que la dimension spatiale des pratiques d’écoute reste encore 
largement sous-estimée95 . Une telle approche semble d’autant 
plus nécessaire dans le contexte suisse où la culture a toujours été 
largement à la charge des acteurs locaux. L’échelle de l’institution 
a donc l’avantage non seulement de s’inscrire dans un territoire, 
mais également de permettre de relier les pratiques culturelles à 
des formes d’organisation administrative et des outils de 
financement. De plus, elle permet d’introduire tout le travail de 
formation du goût endossé par les institutions culturelles (Lizé et 
Roueff, 2010). 
À travers la notion d’« expérience artistique », Ambrosino 
(2015) nous invite à prêter attention aux types d’activités prenant 
place dans un lieu ainsi qu’aux modalités avec lesquels les 
individus y participent. Une approche à travers « l’expérience » 
permet ainsi d’articuler les trajectoires individuelles avec leurs 
contextes sociaux (Martuccelli, 2006). Rendre compte de ces 
expériences permet de traiter les pratiques culturelles non pas 
comme des attributs figés, assignés aux individus selon des 
variables données, mais comme un produit collectif (Hennion, 
2004). Ce chapitre décrit donc comment le « paysage culturel » 
de la ville de Suisse romande étudiée prend forme à travers les 
pratiques des individus qui l’arpentent. La notion de paysage a 
l’avantage d’articuler la dimension spatiale et institutionnelle des 
infrastructures culturelles avec le caractère fluide et polymorphe 
des pratiques individuelles et donc éviter le déterminisme spatial. 
Comme le note Appadurai (1996, p. 33), un paysage dépend de la 
manière dont il est regardé, représenté, ou dans notre cas 
pratiqué. De cette manière, il est possible de rendre toute leur 
● 
95 Même si l'on peut citer en contre-exemple des travaux sur les espaces 
urbains de consommation culturelle (par exemple Silver et Clark, 2016) ou 
sur les politiques culturelles (par exemple Moeschler et Thevenin, 2009b ; 
Saez et Saez, 2012) 
  150 
place aux usages que les individus font des institutions 
culturelles.  
Ce chapitre sera guidé par deux hypothèses principales. 
Premièrement, il existerait des cohérences entre différents types 
de spectacles transversales aux différentes disciplines artistiques. 
Elles feraient, par exemple, que lorsqu’un individu fréquentant 
régulièrement des concerts de musique classique se rend au 
théâtre, il s’agira plutôt d’un répertoire « classique ». Nous 
faisons donc l’hypothèse que l’organisation de ces univers se 
traduit sur le plan des institutions culturelles fréquentées.  
De cette première hypothèse découle une deuxième. Si les 
pratiques culturelles ne s’organisent pas uniquement autour de 
logiques disciplinaires, on peut faire l’hypothèse que les 
institutions culturelles, elles-mêmes, jouent un rôle dans 
l’organisation des pratiques culturelles.  
Afin d’explorer ces deux hypothèses, nous mobiliserons les 
outils de l’analyse de réseaux. Cette méthode est efficace pour 
saisir comment s’organisent des mondes sociaux autour d’un 
nombre limité d’acteurs (Crossley, 2008 ; Granovetter, 2008 ; 
Bottero et Crossley, 2011). Nous commencerons par expliciter 
cette méthode, pour ensuite revenir sur les résultats obtenus.  
METHODE 
Les données utilisées dans ce chapitre sont issues d’une enquête 
menée au sein d’une des salles importantes de la ville étudiée, la 
Philharmonie. Le but de cette recherche était de décrire les 
caractéristiques des pratiques des spectateurs fréquentant cette 
institution. Les données ont été récoltées au moyen de 
questionnaires autoadministrés lors des douze concerts de 
musique classique organisés lors d’une grande manifestation 
gratuite. 2'328 réponses valides ont été collectées au moyen de ce 
dispositif d’enquête. 
  151 
Pour cette contribution, nous nous sommes concentrés 
uniquement sur une question du questionnaire. Nous 
demandions aux répondants de nommer toutes les institutions 
culturelles qu’ils avaient fréquentées au moins quatre fois lors des 
douze derniers mois96 . Nous n’avons gardé que les individus 
ayant répondu à cette question, c’est-à-dire la partie des 
spectateurs les plus actifs sur le plan des sorties culturelles et les 
plus fidèles à certaines institutions. Ce choix nous permettra de 
concentrer notre analyse sur la dimension institutionnelle des 
pratiques culturelles en faisant ressortir leur effet structurant.  
Par conséquent, notre analyse concerne uniquement une 
frange réduite des répondants. Ceci apparaît très clairement lors 
qu’on s’intéresse aux caractéristiques des 263 individus restants 
(voir tableau 8). Il s’agit majoritairement de femmes, ce qui 
correspond aux résultats généralement obtenus pour les concerts 
de musique classique (Donnat et Octobre, 2001 ; OFS, 2016). 
Par ailleurs, la population d’enquête est composée plutôt de 
personnes âgées, possédant une formation tertiaire, vivant dans 
le canton étudié et appartenant à des catégories professionnelles 
intermédiaires et supérieures. Autre élément important : seuls 
21% des répondants disent ne jamais avoir été socialisés à la 
musique 97 . Enfin, 94% d’entre eux disent se rendre à des 
concerts de musique classique (entendu au sens large) et 91% en 
écouter à la maison. Il s’agit donc bien d’une population 
essentiellement composée d’amateurs de musique classique qui 
nous permettra donc de saisir les dynamiques au sein du paysage 
de la musique classique étudié.  
● 
96 Ce chiffre correspond à la définition d’une pratique régulière de l’OFS 
(2011).  
97 Entendu comme avoir suivi un cours de musique, pratiqué un instrument 
ou le chant, ou posséder un parent musicien. À titre de comparaison, une 
enquête sur les pratiques culturelles dans le canton datant 2004 rapportait 
que seuls 11 % de la population pratiquaient un instrument (MIS TREND, 
2004).  
  152 
Tableau 8 : Caractéristiques sociodémographiques des 
répondants (n=263) 
Genre 
Femme  71.7 % 
Homme 28.3 % 
Âge 
15-29 10.8 % 
30-44 11.2 % 
45-59 27.6 % 
60-74 40.0 % 
75 et plus 10.4 % 
CSP 
Travailleurs non-qualifiés 0 % 
Ouvriers et employés 9 % 
Professions intermédiaires 29 % 
Professions intellectuelles et d'encadrement 39 % 
Indépendants 6 % 
Professions libérales 9 % 
Dirigeants 8 % 
Niveau de formation 
Secondaire I 3 % 
Secondaire II 30 % 
Tertiaire 67 % 
Commune de résidence 
Ville  53.9 % 
Reste du canton  33.7 % 
Reste de l’agglomération98  7.8 % 
Reste de la Suisse 2.5 % 
Autre 2.1 % 
Pratiques 
Socialisation musicale 79.2 % 
Se rend à des concerts de musique classique 93.8 % 
Écoute de la musique classique à la maison 90.8 % 
● 
98 Cantons et régions frontalières limitrophes. 
  153 
Notre matrice met donc en relation chaque répondant avec 
les institutions qu’il a fréquentées. Pour commencer, nous avons 
transformé cette matrice à deux dimensions en une nouvelle à 
une seule dimension, composée uniquement d’institutions en 
relation les unes avec les autres en fonction du nombre de 
répondants les ayant mutuellement citées. Ces opérations ont été 
réalisées au moyen des logiciels Ucinet (Borgatti, Everett, et al., 
2002) et Netdraw (Borgatti, 2002).  
DESCRIPTION ET PREMIERE ANALYSE DU RESEAU 
Les 144 institutions culturelles citées sont très diverses (voir 
figures 4 et 5). On y trouve sans grande surprise un nombre 
important de salles de concert recouvrant différents genres 
musicaux. Néanmoins, les salles de concert ne sont de loin pas 
les seules institutions citées. On dénombre notamment des 
musées, des théâtres et des lieux offrant un programme 
pluridisciplinaire. Concernant leur localisation, la majorité des 
institutions citées sont situées sur le territoire de la ville.  
Figure 4 : Institutions citées par type de programmation 
 
  154 
Figure 5 : Localisation des institutions citées 
 
En classant les institutions en fonction du nombre de fois où 
elles ont été citées (tableau 9), on s’aperçoit que deux institutions 
se dégagent et ont été citées par plus de 50% des répondants : le 
la Philharmonie – ce qui n’est pas surprenant vu qu’il s’agit du 
lieu dans lequel les données ont été récoltées –, et l’Opéra. Après 
ces deux institutions dont la programmation est essentiellement 
centrée sur la musique classique, on trouve dès la troisième place 
un théâtre. Ainsi, parmi les dix institutions les plus citées ne figu-
rent « que » quatre salles de concert, soit autant que de théâtres. 
À cela s’ajoutent deux lieux pluridisciplinaires, mais dont la pro-
grammation est principalement orientée vers d’autres formes 
artistiques que la musique (le ballet pour l’Ancienne usine, le 
théâtre et le cinéma pour la Maison des arts). 
 
 
  155 
Tableau 9 : Institutions citées 15 fois et plus 
Institution N Discipline Localisation 
La Philharmonie 135 Musique Ville 
L’Opéra 126 Musique Ville 
Théâtre communal 67 Théâtre Reste du canton 
L’Ancienne usine 50 Pluridisciplinaire Ville 
La Maison des arts 48 Pluridisciplinaire Ville 
Le Théâtre de la Ville 47 Théâtre Ville 
Le Conservatoire 39 Musique Ville 
Le Théâtre des arts 
dramatiques 
28 Théâtre Ville 
L’Agora 22 Théâtre Reste du canton 
L’Église St-Michel 21 Musique Ville 
Le Musée des beaux arts  20 Musée Ville 
Le Théâtre du Lac 19 Pluridisciplinaire Ville 
La Cathédrale 17 Musique Ville 
Le petit Théâtre 15 Théâtre Reste du canton 
Le Centre culturel autogéré 15 Musique Ville 
Cette première analyse des institutions citées permet de faire 
plusieurs constats. Premièrement, les spectateurs interrogés ne se 
rendent pas uniquement à des concerts, mais fréquentent 
également d’autres types de spectacles. Si cette observation va 
dans le sens de notre première hypothèse, il nous reste à 
confirmer que ce sont bien les mêmes individus qui fréquentent 
ces différents types de spectacles. Deuxièmement, les lieux cités 
permettent de prendre la mesure de la centralité des pratiques de 
sortie au spectacle. Très peu d’institutions citées sont installées 
en dehors du territoire de la ville : parmi les vingt premières 
seules, trois se situent sur le territoire d’une autre commune. On 
note ainsi une sous-représentation du reste des communes de 
  156 
l’agglomération99 par rapport aux nombres de spectateurs qui y 
habitent (21.5 % des institutions citées alors que 41.5 % des 
spectateurs y habitent). Ensuite, si le chiffre important 
d’institutions situées à l’étranger peut surprendre, il s’explique 
probablement pour deux raisons. D’une part, la manifestation 
lors de laquelle l’enquête a été réalisée semble attirer des 
spectateurs venant d’assez loin. D’autre part, certains spectateurs 
n’hésitent pas à faire des déplacements importants pour aller 
dans de grandes institutions culturelles reconnues. 
Troisièmement, on note que parmi les institutions les plus citées 
n’ayant pas de liens avec la musique, on retrouve plutôt des 
institutions proposant une programmation basée sur un 
répertoire consacré et une mise en scène souvent plutôt 
conventionnelle 100 . Cet élément atteste donc peut-être de 
l’existence d’une affinité esthétique entre ces théâtres et les 
institutions de musique classique. Là aussi, l’analyse de réseaux 
nous permettra d’aller plus loin dans notre analyse. 
Une première série d’analyse statistique permette de relever 
que le réseau est principalement composé d’un cœur dense 
autour duquel se situent un ensemble très éclaté de nœuds peu 
connectés les uns aux autres. La densité du réseau est, en effet, 
plutôt faible (seuls 16% des connexions possibles sont réalisées). 
De plus, les chemins les plus courts en chaque nœud (distance 
geodesic) sont plutôt longs. Seuls 7.6 % des liens sont directs et 
la majorité d’entre eux est d’un degré deux101 (49.6%) ou trois 
(37.3).  
Une analyse cœur-périphérie nous permet d’identifier quelles 
sont les institutions qui composent le cœur du réseau. Ucinet 
● 
99 Qui comprend non seulement le reste du Canton, mais également une 
partie des cantons et des régions frontalières limitrophes. 
100 Par exemple, à l’affiche, on y trouve Shaw, Shakespeare, Dostoïevski, 
Kafka, Goethe ou encore Céline. Ces théâtres font aussi partie des plus 
fréquentés du Canton avec respectivement 43'789 et 22'583 spectateurs lors 
de la saison 2014-15 (sources Office cantonal de la statistique). 
101 C’est-à-dire que le lien ne passe pas l’intermédiaire d’un autre point.  
  157 
propose une procédure catégorielle qui cherche une partition du 
réseau correspondant à l’hypothèse que le réseau soit divisé entre 
un cœur très dense et une périphérie peu dense. Ce motif 
apparaît très clairement dans le tableau 10 : le cœur est fortement 
densifié, alors que les nœuds en périphérie sont très peu 
interconnectés entre eux. De plus, les nœuds en périphérie sont 
plus connectés avec le cœur qu’entre eux. Cette procédure donne 
un cœur composé des trois institutions les plus citées : la 
Philharmonie, l’Opéra et le Théâtre communal. Ces premières 
observations confirment le constat fait plus haut : la 
Philharmonie et l’Opéra sont au cœur du paysage de la musique 
classique. De plus, la fréquentation de concerts de musique 
classique s’accompagne de sortie aux théâtres comme en 
témoigne la présence du Théâtre communal au sein du cœur du 
réseau.  
Tableau 10 : Table de densité analyse cœur-périphérie 
 Cœur Périphérie 
Cœur 49.667 1.173 
Périphérie 1.173 0.043 
MODELE DE REGROUPEMENT DES INSTITUTIONS 
Pour aller plus loin dans nos analyses, nous allons désormais 
chercher à savoir quelles sont les institutions qui partagent des 
spectateurs. Pour cela, nous allons prendre en compte les liens 
qui relient les institutions et voir si elles forment des sous-
groupes dans le réseau. Cette partition permet de mieux 
comprendre comment se structure notre réseau102.  
● 
102 Pour cela, nous avons adopté une approche prenant en considération les 
équivalents structurels. En d’autres termes, nous avons cherché à regrouper 
les institutions qui occupaient une position similaire dans le réseau. Pour 
cela, nous avons utilisé une méthode basée sur la corrélation entre chaque 
  158 
Le groupe n°1 correspond au cœur du réseau. Il est composé 
de six institutions : les trois institutions issues de l’analyse cœur-
périphérie auxquelles s’ajoutent une salle de concert (le 
Conservatoire), un lieu pluridisciplinaire (l’Ancienne usine) et un 
théâtre (le Théâtre de la Ville). Dans ce groupe, les institutions 
ont été citées en moyenne par 77 répondants. De plus, ce groupe 
est plus fortement interconnecté qu’il ne l’est avec le reste des 
groupes (voir tableau 10). On peut donc considérer que ce 
groupe capture les institutions formant le noyau dur du paysage 
de la musique classique de la ville.  
Le groupe n°2 est composé de cinq institutions : une salle de 
concert, deux théâtres et deux lieux à la programmation 
pluridisciplinaire. En moyenne, ces institutions ont été citées par 
28 spectateurs, soit moins que les institutions du groupe n°1. Ces 
institutions sont plus fortement connectées au groupe n°1 
qu’entre elles, mais restent plus connectées entre elles qu’avec les 
groupes 3, 4 et 5. On peut donc considérer que le groupe n°2 
capture des institutions dont la fréquentation est moins forte au 
sein des répondants, mais faisant tout de même partie du centre 
du paysage de la musique classique de ce la ville. 
Le groupe n°3 regroupe la majorité des institutions citées. On 
y trouve 47 salles de concert, 17 musées, 16 théâtres 18 lieux 
pluridisciplinaires, 7 cinémas, 2 lieux consacrés à la littérature et 
●● 
nœud, car celle-ci est plus appropriée à l’analyse de réseau composé de 
relations pondérées (Crossley et Emms, 2016). La division retenue sur la 
base de l’algorithme d’optimisation d’Ucinet donne une répartition en 5 
sous-groupes (voir tableau 11). Comme nous n’avions pas d’hypothèse sur 
le nombre de groupe, nous avons procédé de manière inductive en répétant 
les analyses pour plusieurs nombres de groupe (en commençant à 4 et en 
allant jusqu’à 8). Notre choix de modèle s’est basé sur deux critères : 
premièrement, sa capacité à expliquer la variance au sein du réseau (donnée 
par la valeur du R-square en l’occurrence de 0.61 pour notre modèle en 
cinq groupes); sa capacité du modèle à proposer une répartition faisant sens 
sur un plan théorique. Ce dernier critère nous a permis de garder la 
répartition en 5 groupes plutôt qu’en 4, car elle permet d’identifier un 
groupe supplémentaire d’institutions.  
  159 
une maison de quartier. Ce groupe se distingue par le faible 
nombre de répondants citant ces institutions (2 en moyenne). 
Par ailleurs, les institutions qui composent ce groupent sont plus 
fortement connecté aux groupes 1 et 2 qu’entre elles. On peut 
donc considérer que ce groupe capte toutes les institutions ne 
faisant pas partie de ce qui fait le cœur des pratiques de la 
majorité des répondants et qui par conséquent se retrouve en 
périphérie du réseau. 
Le groupe n° 4 est composé de seize institutions : sept salles 
de concert ; trois musées ; quatre théâtres ; un lieu 
pluridisciplinaire ; et un lieu offrant une programmation de 
danse. Ces institutions ont été citées en moyenne par douze 
spectateurs. Ces institutions sont très peu connectées entre elles 
(moins d’un spectateur en moyenne), et plus fortement liée au 
groupe n°1 et au groupe n°2 et très peu, voire pas, aux deux 
autres groupes. On peut donc considérer que ce groupe capture 
un deuxième cercle autour du cœur du réseau103 (voir figure 6) et 
qu’il s’agit donc d’institutions périphériques dans le paysage de la 
musique classique de la ville. 
Le groupe n°5 regroupe neuf institutions : quatre salles de 
concert et cinq musées. Sa spécificité réside d’une part dans le 
fait qu’il se compose exclusivement d’institutions citées par un 
seul spectateur et que ces institutions sont très peu connectées au 
reste du réseau. 
 
 
● 
103 Dans ce réseau, chaque point représente une institution. La taille des 
points dépend du nombre d’individus fréquentant cette institution. Les 
liens qui unissent les institutions signifient qu’elles partagent des specta-
teurs. La valeur de chaque lien est pondérée en fonction du nombre de 
spectateurs en commun entre les deux salles. 
  160 
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5
 
0
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0
1
 
0
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4
7
 
0
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2
5
 
Coreness 
F
=
1
2
1
.4
 
p
=
0
.0
0
 
R
2
=
0
.2
 
1
 
1
1
.8
 
2
.1
 
2
7
.6
 
7
7
.3
 
7
.1
 
Moyenne de  
spectateurs 
 4
 
7
 
4
7
 
1
 
3
 
6
6
 
Salle de concert 
 5
 
3
 
1
7
 
0
 
0
 
2
5
 
Musée  
 0
 
4
 
1
6
 
2
 
2
 
2
4
 
Théâtre  
 0
 
1
 
1
8
 
2
 
1
 
2
2
 
Pluridisciplinaire  
 0
 
0
 
7
 
0
 
0
 
7
 Cinéma  
 0
 
0
 
2
 
0
 
0
 
2
 Littérature  
 0
 
0
 
1
 
0
 
0
 
1
 Danse  
 0
 
1
 
0
 
0
 
0
 
1
 Autres  
  162 
Tableau 12 : Table des densités modèle de groupe 
Groupes n° 1 n° 2 n° 3 n° 4 n° 5 
n° 1 25.13 7.77 0.33 2.31 0.00 
n° 2  2.00 0.17 1.29 0.00 
n° 3   0.02 0.09 0.00 
n° 4    0.66 0.04 
n° 5     0.50 
Cette répartition en cinq groupes permet de faire un certain 
nombre de constats. Premièrement, la distinction entre 
disciplines artistiques n’explique pas la position des institutions 
dans le réseau. Le « cœur » des pratiques n’est pas exclusivement 
composé d’institutions proposant des concerts de musique 
classique. De plus, on retrouve tous les types d’institutions dans 
chacun des cinq groupes. Un test d’hypothèse consistant à 
comparer le présent réseau avec un réseau hypothétique dans 
lequel les institutions seraient connectées de manière 
indépendante aux disciplines artistiques proposées permet 
d’écarter les derniers doutes (significativité statistique du Chi-2 
de Pearson supérieure à 0.05). 
Deuxièmement, nous avions postulé qu’il existe des 
répertoires qui organisent le réseau, ou autrement dit, qu’il existe 
des affinités transversales aux disciplines qui répondent à des 
logiques esthétiques et organisationnelles. Cette hypothèse 
semble également se confirmer puisque les institutions formant 
le cœur des pratiques des spectateurs répondants est composé 
d’institutions appartenant au cœur de la culture établie. Elles sont 
toutes en effet des institutions établies de longue date 104  et 
largement soutenues par les pouvoirs publics. L’Opéra est 
notamment le fruit de la volonté d’installer la ville parmi les 
● 
104 L’Opéra, la Philharmonie, le Théâtre de la Ville et le Conservatoire ont 
tous été créés au 19e siècle.  
  163 
grandes places culturelles en Europe (Campos, 2006). De plus, 
dans les deux cas, nous sommes en présence d’institutions 
proposant un répertoire consacré (grands compositeurs, opéras, 
grands dramaturges, etc.). À l’inverse, dans les deux premiers 
groupes, on ne retrouve aucune institution issue de l’essor 
culturel des mouvements urbains des années 70 et 80 (Gros, 
2009 ; Piraud et Pattaroni, 2016). Ce n’est que dans le troisième 
cercle que des lieux comme le Centre culturel autogéré 
apparaissent, signe de la distance que semblent entretenir les 
spectateurs de musique classique avec ces lieux (il serait 
évidemment nécessaire de voir si cette observation est également 
vraie des théâtres vers la musique classique). Si ces répertoires 
répondent en partie à des logiques esthétiques, celles-ci 
s’inscrivent dans des dynamiques historiques et institutionnelles. 
Comme le montre Picaud (2015) à Paris, les salles construisent 
des dispositifs de réception et se positionnent les unes par 
rapport aux autres structurant ainsi le paysage culturel local.  
Troisièmement, les groupes 2 et 4 illustrent la diversité des 
pratiques des spectateurs de musique classique. Par ailleurs, s’il 
existe des liens évidents entre certaines institutions dans ces deux 
groupes, il ne s’agit pas de sous-ensembles suffisamment 
distincts pour être captés par nos analyses. Il faudrait procéder 
sur des données plus nombreuses pour affiner l’analyse et 
vérifier si cette tendance se confirme. On peut tout de même 
s’interroger sur les lieux qui sont sur- ou sous- intégrés dans un 
groupe (c’est-à-dire qu’ils partagent plus ou moins de spectateurs 
en commun avec les autres institutions que la moyenne du 
groupe). À ce titre, on note par exemple que le Conservatoire est 
totalement intégré au cœur du réseau notamment à travers ses 
relations très fortes avec la Philharmonie et l’Opéra. À l’inverse, 
la Maison des arts ou le Musée des beaux arts sont largement 
plus cités que le reste du groupe dans lequel ils se trouvent 
(respectivement 2 et 3), ce qui atteste d’une moins grande 
connexion avec le cœur du réseau.  
Par ailleurs, on peut noter que certaines institutions forment 
des pôles alternatifs en périphérie du réseau (voir figure 6) : en 
  164 
bas trois musées ainsi que trois institutions issues des 
mouvements urbains (Les Ateliers jazz, le Théâtre du masque et 
le Centre culturel autogéré) ; sur la gauche, des lieux religieux 
dans lesquels sont organisés des concerts surtout de musique 
ancienne et baroque ; et, en haut du réseau, trois salles de 
spectacle qui ont une programmation qualifiable de « grand 
public » produite par de grandes sociétés (le Zénith, le Théâtre 
du Lac et la Salle des fêtes). À partir de cette observation, on 
pourrait faire l’hypothèse que ces regroupements esquissent trois 
directions vers d’autres territoires du paysage culturel de 
l’agglomération en question.  
Enfin, quatrièmement, nous avons vu que l’analyse de réseaux 
capture les effets de spatialisation à travers le groupe 5, même s’il 
est difficile de l’affirmer avec certitude au vu du faible nombre de 
répondants vivants hors de l’agglomération (4.6 % des 
répondants). Plus largement, on peut noter la place importante 
dans ce réseau des institutions situées sur le territoire de la ville. 
En effet, parmi les vingt institutions les plus citées, seules trois 
ne sont pas basées sur le territoire de la commune. De fait, 
malgré les efforts de certaines communes du canton pour 
développer une offre culturelle sur leur territoire, le paysage de la 
musique classique reste essentiellement organisé autour 
d’institutions soutenues par la Ville et le Canton et situées au 
centre-ville105. De même, une large majorité de cette liste est 
composée d’entités soit publiques106 soit largement financées par 
des subventions publiques107. 
● 
105 Un tel constat mériterait d’être vérifié à l’aune d’autres formes artistiques 
ou pour les festivals qui se multiplient dans les différentes communes du 
canton.  
106 Institutions publiques : la Philharmonie, La Maison des arts, l’Agora, le 
Musée des Beaux-arts ; Fondations publiques : l’Opéra, Théâtre communal, 
le Théâtre de la Ville, Le Théâtre des arts dramatiques. 
107 Des fondations, comme le Conservatoire, ou des associations, comme le 
Centre culturel autogéré.  
  165 
CONCLUSION 
Dans ce chapitre, nous avons cherché à comprendre comment 
les pratiques des spectateurs de concerts de musique classique 
dans la grande ville de Suisse romande étudiée s’organisent. À 
partir d’un réseau constitué de l’ensemble des institutions 
culturelles fréquentées régulièrement au cours des douze derniers 
mois, l’analyse de réseaux nous a permis de tirer trois 
conclusions principales. Premièrement, une large partie des 
pratiques de ces spectateurs s’articulent autour de six 
institutions : la Philharmonie, l’Opéra, l’Ancienne usine, le 
Théâtre communal, le Théâtre de la Ville et le Conservatoire. Le 
reste des institutions se divise ensuite en cercles concentriques 
autour de ce cœur très dense. Deuxièmement, cette première 
cartographie permet de souligner que la structuration du réseau 
ne suit pas uniquement une logique disciplinaire. Si les 
spectateurs interrogés ne fréquentent pas seulement des salles de 
musique classique, mais également des théâtres, il ne s’agit 
néanmoins pas de n’importe quel théâtre, mais d’institutions 
proposant une programmation classique tant dans le répertoire 
que dans la mise en scène. Si ces résultats s’inscrivent dans la 
continuité de littérature existante, l’analyse de réseaux permet de 
mettre en avant comment ces répertoires s’inscrivent dans une 
réalité institutionnelle territoriale. Troisièmement, on note des 
liens transversaux entre les cercles concentriques dessinant des 
sous-ensembles dans les institutions fréquentées.  
Notre analyse comporte des limites. Premièrement, il faut 
garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’un échantillon représentatif 
de la population du canton, mais de la part la plus active des 
spectateurs interrogés. Néanmoins, ces données permettent de 
décrire les pratiques des individus se rendant régulièrement à des 
concerts de musique classique dans le canton. Cela nous donne 
donc la possibilité d’apporter des précisions importantes sur 
l’organisation du paysage de la musique classique de cette ville. 
Une piste de recherche certainement fructueuse serait de 
comparer ces résultats avec d’autres études de cas semblables 
que ce soit sur des villes ou sur des univers artistiques différents. 
  166 
Deuxièmement, notre analyse ne prend pas en compte la 
programmation. Or, celle-ci joue également un rôle fondamental, 
notamment pour les institutions pluridisciplinaires ou accueillant 
différentes programmations. Une telle prise en compte serait 
relativement facile à faire et permettrait sur ce plan d’apporter 
une compréhension plus fine des processus étudiés. 
Troisièmement, il est nécessaire d’accompagner ce genre 
d’analyse quantitative avec des analyses qualitatives qui nous 
permettent de saisir les chaines d’action à l’œuvre au sein de 
l’institution culturelle elle-même (Dutheil-Pessin et Ribac, 2017), 
les sociabilités qui amènent les spectateurs jusqu’aux concerts 
(Djakouane, 2011 ; Pasquier, 2012), ou plus généralement le sens 
que les acteurs donnent à leurs pratiques108. C’est bien le va-et-
vient entre ces deux perspectives qui est nécessaire pour mieux 
saisir comment se forment les pratiques des spectateurs de 
concert.  
Plus largement, cette analyse nous donne des éléments pour 
mieux comprendre le paysage culturel de cette ville. Pour 
commencer, sa diversité et sa richesse se reflètent dans la grande 
variété des institutions citées. Il existe d’ailleurs une importante 
circulation des spectateurs entre les institutions. Si notre réseau 
est fortement concentré autour de trois institutions, il se divise 
ensuite en une pluralité d’embranchements qui se recoupent plus 
ou moins. Cet éclatement des pratiques entre différents lieux et 
différentes disciplines traduit le caractère diversifié des pratiques 
des répondants. Néanmoins, elles restent principalement 
inscrites autour de l’institution centrale de la musique classique 
dans le paysage culturel de la ville étudiée : l’Opéra. Les 
répondants s’inscrivent donc pour une large majorité dans un 
registre esthétique légitime que ce soit du point de vue du 
répertoire ou de l’implantation des institutions fréquentées. De 
plus, les institutions au cœur de ces pratiques sont toutes 
largement financées par des fonds publics. Ces institutions 
● 
108 De manière plus générale, sur les possibilités d’articulation entre analyse 
de réseaux et travail d’enquête de terrain voir Crossley et Edwards (2016).  
  167 
dessinent pour ainsi dire les lignes directrices d’un paysage 
musical. En faisant cela, elles participent à façonner le tissu 
urbain (Krims, 2007).  
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 Dans la même collection 
 
 
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attitudes in Switzerland, An explorative study, Sandro Cattacin, Brigitta 
Gerber, Massimo Sardi et Robert Wegener. 
Sociograph n°2, 2007, Marché du sexe et violences à Genève, Àgi Földhàzi et 
Milena Chimienti. 
Sociograph n°3, 2007, evaluation de la loi sur l’intégration des étrangers du 
Canton de Genève, Sandro Cattacin, Milena Chimienti, Thomas Kessler, 
Minh-Son Nguyen et Isabelle Renschler. 
Sociograph n°4, 2008, La socio et après? Enquête sur les trajectoires 
professionnelles et de formation auprès des licencié-e-s en sociologie de l’Université de 
Genève entre 1995 et 2005, Sous la direction de Stefano Losa et Mélanie 
Battistini. Avec Gaëlle Aeby, Miriam Odoni, Emilie Rosenstein, Sophie 
Touchais et Manon Wettstein. 
Sociograph n°5a, 2009, Marché du sexe en Suisse. Etat des connaissances, best 
practices et recommandations, Volet 1 – Revue de la littérature, Géraldine 
Bugnon et Milena Chimienti avec la collaboration de Laure Chiquet. 
Sociograph n°5b, 2009, Der Sexmarkt in der Schweiz. Kenntnisstand, Best 
Practices und Empfehlungen, Teil 1 – Literaturübersicht, Géraldine Bugnon et 
Milena Chimienti unter Mitarbeit von Laure Chiquet. 
Sociograph n°6a, 2009, Marché du sexe en Suisse. Etat des connaissances, best 
practices et recommandations, Volet 2 – Cadre légal, Géraldine Bugnon, 
Milena Chimienti et Laure Chiquet. 
Sociograph n°6b, 2009, Der Sexmarkt in der Schweiz. Kenntnisstand, Best 
Practices und Empfehlungen, Teil 2 – Rechtsrahmen, Géraldine Bugnon, 
Milena Chimienti et Laure Chiquet. 
Sociograph n°7, 2009, Marché du sexe en Suisse. Etat des connaissances, best 
practices et recommandations, Volet 3 – Mapping, contrôle et promotion de la santé 
dans le marché du sexe en Suisse, Géraldine Bugnon, Milena Chimienti et 
Laure Chiquet avec la collaboration de Jakob Eberhard. 
Sociograph n°8, 2009, «Nous, on soigne rien sauf des machines». Le pouvoir 
insoupçonné des aides-soignants en Anesthésie. Sous la direction de Mathilde 
Bourrier. Avec Aristoteles Aguilar, Mathilde Bourrier, Ekaterina 
Dimitrova, Solène Gouilhers, Marius Lachavanne, Mélinée Schindler et 
Marc Venturin. 
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an ethnographic endeavor. Mathilde Bourrier (Sociograph – Working Paper 
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Sociograph n°12, 2011, A nouveau la ville " Un débat sur le retour de l’urbain. 
Sous la direction de Sandro Cattacin et Agi Földhàzi. 
Sociograph n°13, 2011, Capital social et coparentage dans les familles 
recomposées et de première union. Sous la direction de Eric Widmer et 
Nicolas Favez. Avec Gaëlle Aeby, Ivan De Carlo et Minh-Thuy Doan. 
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partir des données de billetterie. Sami Coll, Luc Gauthier et André Ducret. 
Sociograph n°15, 2013, Migrations transnationales sénégalaises, intégration et 
développement. Le rôle des associations de la diaspora à Milan, Paris et Genève. 
Jenny Maggi, Dame Sarr, Eva Green, Oriane Sarrasin et Anna Ferro. 
Sociograph n°16, 2014, Institutions, acteurs et enjeux de la protection de l’adulte 
dans le canton de Genève. Sous la direction de Mathilde Bourrier. Avec 
Alexandre Pillonel, Clara Barrelet, Eline De Gaspari, Maxime Felder, 
Nuné Nikoghosyan et Isabela Vieira Bertho. 
Sociograph n°17, 2015, Recensions 1983-2013, André Ducret. Avant-
propos de Jacques Coenen-Huther.  
Sociograph n°18, 2015, Un lieu pour penser l’addiction. Evaluation de 
l’Académie des Dépendances, Anne Philibert et Sandro Cattacin. 
Sociograph n°19, 2015, Connivences et antagonismes. Enquête sociologique dans 
six rues de Genève. Edité par Maxime Felder, Sandro Cattacin, Loïc 
 Pignolo, Patricia Naegeli et Alessandro Monsutti. Avec Guillaume 
Chillier, Monica Devouassoud, Lilla Hadji Guer, Sinisa Hadziabdic, 
Félix Luginbuhl, Angela Montano, Sonia Perego, Loïc Pignolo, Loïc 
Riom, Florise Vaubien et Regula Zimmermann. 
Sociograph n°20, 2015, La catastrophe de Mattmark dans la presse. Analyse 
de la presse écrite. Edité par Sandro Cattacin, Toni Ricciardi et Irina Radu. 
Avec Yasmine Ahamed, Lucie Cinardo, Caroline Deniel, Dan 
Orsholits, Steffanie Perez, Elena Rocco, Julien Ruey, Katleen Ryser, 
Cynthia Soares et Karen Viadest. 
Sociograph n°21, 2015, La catastrophe de Mattmark. Aspects sociologiques. 
Edité par Sandro Cattacin, Toni Ricciardi et Irina Radu. Avec Yasmine 
Ahamed, Caroline Deniel, Dan Orsholits, Steffanie Perez, Elena Rocco, 
Julien Ruey, Katleen Ryser, Cynthia Soares et Karen Viadest. 
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Gefährlichkeitsabschätzungen psychoaktiver Substanzen. Domenig Dagmar 
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Sociograph n°22 b, 2015, Les drogues sont-elles dangereuses ? Estimations de la 
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Sociograph n°25, 2016, Addictions et société : voyage au pays des ombres. Actes 
du colloque des 50 ans du GREA. Edité par Anne Philibert, Géraldine 
Morel et Sandro Cattacin. 
Sociograph n°26, 2017, Complicity and Antagonism: Anthropological Views of 
Geneva. Edited by Alessandro Monsutti, Françoise Grange Omokaro, 
Philippe Gazagne and Sandro Cattacin. With Savannah Dodd, Juliana 
Ghazi, Victoria Gronwald, Sarah Hayes, Aditya Kakati, Samira Marty, 
Linda Peterhans, Dagna Rams, Rosie Sims and drawings by Heather 
Suttor. 
Sociograph n°27, 2016, Begleitung von Menschen mit einer kognitiven 
Beeinträchtigung im Spital. Ambivalenzen und Pragmatismus von Schnittstellen. 
Anna Weber. 
Sociograph 28, 2016, ´We’re from Switzerland, that’s a Chocolate Island in 
Swedenµ Comprendre l’indie rock du point de vue de six groupes suisses. Loïc 
Riom. 
Sociograph 29, 2016, Le devenir professionnel des diplômés en sciences sociales 
entre 2005 et 2015. Julien Ruey, Emilie Rosenstein, Rita Gouveia et Eric 
Widmer. 
Sociograph n°30, 2017, Vieillissement et espaces urbains. Edité par Cornelia 
Hummel, Claudine Burton-Jeangros et Loïc Riom. Avec Alizée 
Lenggenhager, Heber Gomez Malave, Martina von Arx, Michael Deml 
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Sociograph n°31, 2017, Voting for the Populist Radical Right in Switzerland: 
A Panel Data Analysis. Dan Orsholits. 
Sociograph n°32, 2017, © C’est pas un boulot, c’est du business. » L’agir des 
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Sociograph n°33, 2017, Le processus d’endettement dans le jeu excessif : d’une 
revue de la littérature à l’élaboration d’un modèle. Anne Philibert, Géraldine 
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Sociograph n°34, 2017, L’éthique (en) pratique : la recherche en sciences 
sociales. Edité par Claudine Burton-Jeangros. Avec Claudine Burton-
Jeangros, Maryvonne Charmillot, Julien Debonneville, Karine Duplan, 
Solène Gouilhers Hertig, Cornelia Hummel, Mauranne Laurent, 
Barbara Lucas, Andrea Lutz, Michaël Meyer, Lorena Parini, Loïc Riom, 
Sabrina Roduit, Claudine Sauvain-Dugerdil, Mélinée Schindler et 
Daniel Stoecklin. 
Sociograph n°35, 2018, La musique sous le regard des sciences sociales. Edité 
par Loïc Riom et Marc Perrenoud. Avec Pierre Bataille, Sandro 
Cattacin, Nuné Nikoghosyan, Irene Pellegrini, Luca Preite, Pierre 
Raboud et Christian Steulet. 
 
  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Toutes les publications se trouvent en ligne sous : 
www.unige.ch/sciences-societe/socio/sociograph 
FACULTÉ DES SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ
INSTITUT DE RECHERCHES SOCIOLOGIQUES
Sociograph n°35 
S o c i o l o g i c a l  r e s e a r c h  s t u d i e s
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La musique sous le regard  
des sciences sociales  
Edité par Loïc Riom et Marc Perrenoud
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Il existe encore peu de recherches en sciences sociales sur la musique en 
Suisse. Pourtant, la vie musicale helvétique est riche et diversifiée. Les 
données de l’Office Fédéral de la Statistique témoignent d’une consom-
mation musicale importante parmi la population suisse et, plus encore, 
d’un taux de pratique particulièrement élevé. Sur le plan institutionnel, on 
compte de nombreux festivals et de salles de concert à travers le pays. Et 
depuis une quinzaine d’années, différentes institutions visant à soutenir 
la création musicale ont vu le jour avec, parfois, l’ambition de faire rayon-
ner les musiciens suisses à l’étranger.  
Dans ce contexte, il semble nécessaire de développer un regard propre 
aux sciences sociales sur la musique en Suisse. Cet ouvrage répond à ce 
besoin en esquissant un premier panorama des mondes de la musique 
helvétique et en réunissant des contributions traitant de différents as-
pects de la musique en Suisse : histoire des musiques populaires, liens 
entre musique et immigration, marché de l’emploi musical et pratiques de 
fréquentation des institutions culturelles. Ces contributions mettent en 
évidence certaines particularités de la Suisse, mais soulignent également 
son insertion dans une histoire globale de la musique.
Loïc Riom est doctorant au Centre de sociologie de l’innovation de l’Ecole 
des Mines ParisTech et chercheur associé à l’Institut de recherches 
sociologiques de l’Université de Genève. Ses travaux portent sur 
l’évaluation, la valorisation et la circulation de la musique.  
Marc Perrenoud est Maître d’enseignement et de recherche à l’Université 
de Lausanne. Sociologue du travail et de la culture, ses recherches 
traitent de l’emploi musical, des économies symboliques du travail et de 
la sociologie des groupes professionnels.  
Avec les contributions de Christian Steulet (HKB), de Pierre Raboud 
(UNIL/Université de Tours), d’Irene Pellegrini (UNIGE), de Sandro Cattacin 
(UNIGE), de Luca Preite (UNIBAS), de Pierre Bataille (ULB/UNIL) et de 
Nuné Nikoghosyan (UNIGE).
ISBN: 978-2-940386-44-4
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